Chapitre 14
Ils reprirent la route de Saeron sans attendre. De l’avis
général, ce n’était pas très prudent de retourner au village maintenant qu’ils
avaient éliminé la bande locale, ceux qu’ils avaient laissé partir risquaient
d’avoir envie de se venger un peu, et il était possible qu’ils aient eu des
amis parmi les villageois qui auraient peut-être envie de se venger. Ils ne
perdirent donc pas de temps à traîner dans les environs.
Il fallut attendre qu’ils s’arrêtent au milieu de la journée, pour finalement avoir une occasion de discuter avec Ewan. Jusqu’ici, le mage s’était montré très silencieux, marchant en regardant obstinément ses pieds et serrant un énorme livre à couverture de cuir contre sa poitrine. Pervenche lui avait demandé s’il s’agissait d’un livre de sorts et s’il l’utilisait en combat, il avait secoué la tête sans même la regarder. Jusqu’à présent, personne n’avait encore même entendu le son de sa voix. Sigrid se contenta de mentionner qu’il n’était pas très sociable et qu’il valait mieux le laisser tranquille pour le moment. Meven se le tint pour dit, et se rabattit sur Hélios pour tenter de le rendre dingue, réclamant une récompense pour ses actes de bravoure exceptionnels contre leurs ennemis. Le cavalier lui promit de l’étrangler.
Ils s’assirent au bord d’une rivière bienvenue alors que le soleil était au-dessus d’eux. Hélios se dévoua pour cuisiner une bestiole qu’il n’arrivait pas à identifier et dont il ne voulait surtout rien savoir (Killian s’était montré assez… sauvage dans sa chasse). Les autres s’installèrent dans l’herbe, formant inconsciemment une sorte de cercle autour d’Ewan. Le mage leur lança des coups d’œil rapides, nerveux, et se rapprocha instinctivement de Sigrid, qui posa une main réconfortante sur son épaule. Pervenche voulut entamer la conversation, mais qu’est-ce qu’il y avait à demander à un gamin aux cheveux bleus qui avait l’air terrorisé ? C’est vrai qu’une bande armée qui vous entourait comme ça, ce n’était pas rassurant… Elle tendit la main, attrapa une mèche ondulée, le faisant reculer brutalement, et demanda, d’un ton qu’elle espérait rassurant :
- Comment ça se fait que tu aies les cheveux comme ça ? C’est naturel ?
Il la regarda rapidement, puis fixa à nouveau ses pieds et marmonna :
- Retour de sort. C’est… définitif.
Personne, pas même la poigne d’acier de Killian, ne put empêcher Meven de lever les bras au ciel et de s’exclamer : « Mais alors, il parle ! », ce qui lui valut un coup sur la tête plus violent que d’habitude, et Ewan se replia un peu plus sur lui-même. Pervenche lui lança un regard d’avertissement, et reprit, plus doucement :
- Et si tu nous parlais un peu de toi, hein ?
- … n’y a pas grand-chose… à dire…
- Pas grand-chose ? intervint Meven d’un ton plus calme. D’où tu sors ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Comment tu en es arrivé à escorter une prêtresse ?
- Et à te faire kidnapper ? ajouta Killian.
Ewan leva la tête, et une expression blessée apparut sur ses traits, mais elle disparut avant même qu’on puisse s’assurer qu’elle ait vraiment été là. Il entreprit d’expliquer, lentement, toujours à voix presque basse :
- On… m’a proposé d’escorter certaines personnes… Comme entraînement. Pour fortifier mes pouvoirs. Mon maître pensait que c’était une bonne idée… J’ai atterri à Saeron, on m’a demandé d’escorter Dame Sigrid. Dans la forêt, ces… individus nous sont tombés dessus. Ils m’ont emporté jusqu’au château, pour demander de l’argent à mon maître. Et… c’est tout.
- Fortifier tes pouvoirs, répéta Killian, lentement, en faisant traîner les syllabes.
- C’est… ça…
- Tu parles d’une réussite. Se faire kidnapper par des idiots pareils. Même Meven a réussi à s’en sortir, et il est nul.
L’assassin lança une injure particulièrement imagée qui les fit tous grogner ou rougir. Sauf, de manière assez étonnante, Sigrid, qui ne réagit pas. Pervenche reprit, ignorant le maître d’armes :
- Fais pas attention à cet abruti. Qu’est-ce qui s’est passé ? Du moins… si ça t’embête pas d’en parler. Parce que si ton maître est le fameux Loki d’Adelsheim…
Elle attendit qu’il confirme d’un hochement de tête.
- Dans ce cas, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu aurais pu les griller sur place, non ? Je veux dire, tu dois être… assez fort pour ça.
Long silence. Killian décida d’en rajouter une couche :
- Pourquoi tu t’es laissé capturer comme une donzelle, et qu’il a fallu te secourir ? Pourquoi tu ne t’es pas servi de tes fabuleux pouvoirs magiques pour les éradiquer sur place et te barrer, hein ? Et pourquoi…
- TA GUEULE, BORDEL ! lui cria Pervenche. Tu peux pas la fermer et arrêter d’en rajouter ?
- Le maître d’armes eut l’air choqué qu’elle ose lui parler ainsi. Il voulut répliquer, mais Gillan l’attrapa par l’épaule, serrant suffisamment fort pour que ses doigts se plantent dans sa chair, et lui dit :
- Elle a raison, t-tu sais.
Elle l’entraîna à l’écart pour tenter de le calmer. Pendant ce temps, Pervenche se tourna à nouveau vers le mage, et demanda doucement :
- Qu’est-ce qui s’est passé, alors ?
Ewan ne répondit pas tout de suite. Il regarda Killian, qui donnait l’impression de bouder, ou peut-être de s’être totalement désintéressé d’eux, Meven qui s’appuyait sur l’épaule d’Hélios, Hélios qui avait renoncé à l’écarter et se préoccupait de sa cuisine, apparemment sourd à ce qui l’entourait, mais gardant l’oreille dressée, Gillan qui alternait entre le regarder et surveiller le maître d’armes, et Pervenche et Sigrid qui l’encadraient, l’air inquiètes. Il soupira, et avoua dans un souffle :
- J’avais peur.
La mercenaire n’osa pas insister, de peur qu’il se replie de nouveau dans sa coquille. Il finit toutefois par se décider à développer, en gardant le regard obstinément fixé sur ses mains :
- C’était… la première fois que je quittais… Adelsheim. Je n’étais… pas préparé à tout ça. Alors… quand je me suis retrouvé face à ce… cet individu… j’ai paniqué, et j’ai perdu tous mes moyens. Mais ça… vous ne comprendriez pas, n’est-ce pas, maître d’armes ?
Killian lui jeta un regard ennuyé par-dessus son épaule, mais n’ajouta rien. Pervenche demanda :
- Je sais que ça va te paraître idiot, et l’autre andouille là-bas m’a déjà dit que j’avais tendance à poser des questions idiotes, mais… Est-ce que le fait d’avoir peur ou d’être en colère ne facilite pas l’utilisation de la magie ? Enfin du moins, c’est ce que notre professeur nous disait. Que ces émotions fortes et leur énergie pouvait être convertie en puissance magique. Ou quelque chose comme ça. J’ai jamais vraiment écouté.
Ewan répondit sans la regarder, tirant nerveusement sur ses mitaines :
- Les mages… ont besoin de leur concentration. Plus leurs pouvoirs sont forts… plus ils doivent garder leur calme… Ne vous vexez pas… mais à votre niveau, ça ne joue pas beaucoup, que vous soyez calme ou non…
- J’suis pas vexée, t’en fais pas, l’assura-t-elle avec un sourire. La magie, ça a jamais été mon truc.
Le mage continua, plus pour lui-même que pour ses auditeurs :
- Les mages… qui ont des pouvoirs importants… contrôlent des forces très importantes. Des forces dévastatrices… Il est très important… qu’ils gardent la tête froide en toute circonstance. A la moindre perte de contrôle sur leur sort, celui-ci peut se retourner contre eux… Je parle de forces capables de ravager des pays entiers… A la moindre émotion non retenue… ils sont oblitérés…
- C’est ce qui t’est arrivé pour tes cheveux, c’est ça ? demanda la mercenaire.
- Ca… et deux semaines d’inconscience. Et j’ai eu de la chance.
Hélios brisa le silence gênant qui menaçait de s’installer en distribuant le repas à la ronde et en leur conseillant de manger vite, ce qu’ils s’empressèrent de faire.
Ils arrivèrent à Saeron tard dans la soirée, et se séparèrent : Meven et Pervenche accompagnèrent Sigrid et Ewan au temple, Gillan et Hélios se chargèrent de se trouver des chambres à l’auberge la plus proche, et Killian disparut, probablement vexé d’avoir été traité de manière qu’il estimait indigne de lui. Comme la première fois qu’ils étaient venus, le temple grouillait d’activité, blessés et malades un peu partout, et une nuée de prêtres et de soigneurs qui s’en occupaient. A nouveau, on les conduisit dans le bureau d’Ariakan. Malgré l’heure tardive, le grand prêtre était toujours à son bureau, en train de consulter des documents. Quand il les vit entrer, il se leva, bras étendus dans un geste accueillant, et s’exclama :
- Enfin, vous voilà ! Je commençais à être inquiet !
- Et pourtant, nous ne sommes partis qu’hier à sa recherche, répondit Meven. Pensiez-vous vraiment que cette tâche nous demanderait si peu de temps ?
- Vous marquez un point, jeune homme. J’avoue que mon inquiétude était un peu… prématurée, mais on m’a dit que la région était dangereuse… Je suis ravi de vous revoir. Et particulièrement toi, Sigrid. J’étais très inquiet pour toi.
La soigneuse répondit d’un signe de tête que Pervenche trouva un peu sec. Arkiakan demanda des explications sur la situation, et Meven lui raconta ce qui était arrivé, passant sur la manière dont la bande avait été mise hors d’état de nuire ; un serviteur d’une déesse pacifique n’aurait peut-être pas voulu entendre parler de violence… Il les écouta patiemment, hochant la tête aux bons moments. Quand l’assassin se tut, il conclut par :
- Je vous remercie d’avoir pris autant de risques pour nous ramener notre prêtresse.
- Nous avons été payés pour ça, après tout, répondit l’assassin.
- Et je te demande toutes tes excuses, Sigrid, pour t’avoir envoyée exécuter une mission aussi dangereuse. Si j’avais su que cela se passerait ainsi, j’aurais pris davantage de précautions avant de t’y envoyer.
La manière dont il regarda Ewan avait de quoi donner des frissons dans le dos. Le mage se contentait de serrer son livre contre lui et de fixer ses pieds, sans un mot. Pervenche se retint de faire un commentaire, ce n’étaient pas ses affaires. Le grand prêtre leur remit une bourse emplie de pièces qui tintaient agréablement, que Meven s’empressa d’empocher. Les deux prirent congé sans demander leur reste, préférant laisser Ariakan s’occuper de ses affaires tout seuls.
Ils tentaient de trouver leur chemin parmi les petites rues et d’arriver jusqu’à l’auberge, quand Pervenche remarqua :
- C’est moi, ou le grand prêtre est un peu un con, sur les bords ?
- Ca dépend, tu te bases sur quelle échelle pour déterminer ça ? Parce que si tu prends Killian…
- Oh, je sais qu’entre lui et toi, c’est l’amour fou. On dirait des gamins qui se disputent.
- Pas ma faute si c’est un abruti. S’il n’avait pas d’aussi belles fesses…
L’assassin s’arrêta net en voyant le regard qu’elle lui lança. Il leva les mains en un geste de défense et s’exclama :
- Quoi ?! Je ne peux même plus admirer une des belles créations de Dame Nature ?
- Je ne suis pas sûre que Raïjena soit vraiment à blâmer… ou à féliciter pour ça.
- Il n’empêche que c’est un con. Un con avec de beaux muscles et un beau fessier.
- Et des jolis cheveux, répliqua Pervenche en jouant avec une mèche des siens. Tu veux continuer de faire l’article, ou tu vas t’arrêter là et me dire où tu veux en venir ? Ou juste continuer à louer la déesse de la nature pour le postérieur de ton compagnon de voyage ?
- Raïjena soit louée, je maintiens. Et sinon, sur une échelle de connerie qui va de 0 – moi-même – à 10 – Killian et sa gentillesse légendaire – où tu placerais Ariakan ?
- J’sais pas, répondit-elle après un moment de réflexion. 6 ou 7, je dirais.
- Et qu’est-ce qui nous vaut ce jugement de caractère très acéré ? demanda l’assassin avec un clin d’œil.
- J’sais pas. Je l’aime pas, c’est tout.
- Je devrais toujours me fier à ton avis éclairé, avisé et fondé sur de solides observations.
- Arrête, idiot, lui dit-elle avec un léger coup dans le bras. C’est juste que… J’ai vraiment eu l’impression qu’il en avait strictement rien à cirer d’Ewan. Tout ce qu’il voulait, c’était que Sigrid revienne. T’as entendu ? C’est lui qui s’est fait kidnapper, mais il s’est excusé auprès d’elle pour tous les ennuis attirés.
- Il voulait récupérer sa prêtresse, je suppose.
- Il aurait pu le faire autrement qu’en accablant Ewan. C’était pas sa faute, le pauvre. T’as vu comment il l’a regardé ? On aurait cru qu’il voulait le faire fondre sur place. Tout ça parce qu’il s’est fait kidnapper.
Meven lui lança un drôle de coup d’œil sans répondre, et elle demanda :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Je connais ce ton. La dernière fois que tu l’as utilisé, on s’est retrouvés avec un cavalier sur les bras.
- Ose dire que tu regrettes.
- Je pense que je devrais également remercier Raïjena pour cette adorable création, ou quelque chose du genre, mais là n’est pas le sujet.
- Et il est où ?
- Tu veux le récupérer, avoue. Tu veux qu’on l’emmène avec nous.
Elle réfléchit un instant.
- Je sais pas, franchement. Ca a pas l’air d’être son genre, de se balader avec des gens comme nous. T’as bien vu, il avait la trouille chaque fois qu’on l’approchait un peu trop, et il parle pas beaucoup. A mon avis, il serait pas d’accord. Même si, franchement, un mage dans l’équipe, ça serait pas si mal. Ne serait-ce que parce que je suis nulle en magie.
- Et alors ? On se débrouille suffisamment bien. Surtout avec un assassin de mon calibre ! Et un tueur fou comme Killian, ajouta-t-il après un instant de réflexion.
- Le jour où on tombe sur un meilleur bretteur, qui pourra être tué uniquement grâce à la magie, on serait bien contents d’avoir un mage dans l’équipe…
Un instant de silence, pendant lequel ils tentèrent de ne pas trébucher sur les pavés qu’ils n’arrivaient pas à distinguer. Finalement, Meven reprit la parole :
- C’est bien joli, ces théories, mais ça existe, les individus qui ne peuvent être battus que par la magie ?
- Sûrement. Mais de toute façon, il ne voudra pas venir avec nous.
- Ca a l’air de te déranger, petite.
- Bah… J’sais pas. Je l’aime bien, moi, il est sympa. Même s’il ne parle pas beaucoup. D’un autre côté, c’est reposant.
- Et puis tu parles assez pour deux… ou trois, la taquina Meven.
- Crétin. Et puis, c’est dommage qu’il se fasse engueuler pour quelque chose qui n’est pas sa faute, aussi.
- Grande découverte ! Pervenche réalise que les gens sont méchants !
- Tu te prends pour Killian, maintenant, à te moquer des autres ?
- Quoi ? Ton petit orgueil est blessé ?
Elle se contenta de marmonner :
- T’es naze.
Et d’accélérer le pas, vraisemblablement pour le laisser sur place. Stratagème idiot qui n’allait certainement pas marcher avec lui. Il la rattrapa en deux enjambées, passa le bras autour de ses épaules, évita le coup de coude agacé, et expliqua :
- Il ne faut pas mal le prendre, petite fleur.
- Ne m’appelle PAS petite fleur !
- Alors écoute les conseils de ton gentil mentor plus sage et avisé. Tu ne peux pas toujours prendre les choses comme ça, autant à cœur. Déjà, tu vas finir par faire une montagne de n’importe quoi. Ensuite, tu rencontreras d’autres personnes aussi peu sympas dans ta vie. Pas des monstres, pas des crétins comme Killian. Juste… des gens pas toujours très honnêtes et qui ne font pas toujours que le bien. Tu ne peux pas les changer, et tu ne peux pas tous les empêcher d’agir comme ça. Parfois, il faut choisir ses batailles. Et les crétins comme ça, tu te contentes de les ignorer, et de les éviter.
- Ca veut dire que j’aurais dû t’éviter ?
- Moi, j’ai un bon fond, au moins. Je ne tue que les crétins.
- Tu devrais tuer Killian, alors.
- Et priver le monde d’un aussi joli fessier ? Jamais !
Elle secoua la tête, navrée, et le regarda s’engouffrer dans l’auberge qu’ils avaient finalement atteinte, en réclamant une demi-douzaine de verres de bière et une jolie serveuse. Il n’avait pas tout à fait tort, si on exceptait son comportement envers Ewan, Ariakan était plutôt une bonne personne. Elle ne pouvait pas vraiment lui sauter à la gorge juste pour un petit écart de comportement. D’ailleurs, Ewan lui en voudrait probablement si elle commençait à se mêler de ses affaires, même si elle en mourait d’envie. Il fallait qu’elle se retienne, et qu’elle garde le contrôle de cette partie d’elle-même qui souhaitait sauter à la gorge du grand prêtre pour lui apprendre à parler aux petits mages, ou il allait lui arriver des bricoles. Bien que ça ne s’annonçait pas très facile, pour une pseudo défenseuse du Bien et de la Justice telle qu’elle s’imaginait… Enfin, au moins, Meven avait réussi à la faire sourire avec ses plaisanteries… Elle finit par rentrer elle aussi dans l’auberge. L’assassin était installé à une table, et visiblement très occupé à jouer à un jeu à boire avec un groupe d’individus inconnus et, surprise, Killian. Qui avait l’air toujours aussi supérieur et hautain, mais qui descendait lui aussi son alcool avec un rythme admirable. Elle considéra un moment l’idée de les rejoindre et éventuellement de les provoquer un peu, mais ce n’était peut-être pas une idée si brillante. Et puis, elle était fatiguée. Autant ne pas tenter le diable. Elle monta donc à l’étage, rejoignit la chambre où Gillan l’attendait. En la voyant entrer, l’épéiste s’exclama « enfin ! » et plongea sous sa couverture avec un couinement de bonheur. Pervenche souffla la flamme de la lampe et l’imita, plongeant avec bonheur dans un sommeil bien mérité.
Ils se réunirent dans la grande salle de l’auberge le lendemain matin, selon ce qui devenait une habitude, autour d’un petit déjeuner copieux auquel tous, sauf Killian, firent honneur. Le maître d’armes avait sa tête des mauvais jours (c’est-à-dire un tout petit peu plus grognon que d’habitude, et le regard noir à pleine puissance n’épargnant personne), et Meven le regardait avec un sourire en coin qui en disait long sur ce qui s’était passé la veille. Lui-même ne gardait aucune trace de l’alcool qu’il avait certainement avalé par litres. Encore une fois, ils discutèrent de ce qu’ils allaient faire ensuite. Pervenche voulait continuer vers le nord, comme on leur avait conseillé. Hélios était d’accord pour n’importe quelle direction, tant qu’on s’éloignait du sud. Meven était prêt à aller partout où le cavalier irait, et celui-ci renouvela ses menaces de blessures graves si jamais il continuait ses assauts pervers. Killian boudait de n’avoir pas eu son combat grandiose, et voulait des ennemis puissants à affronter. Et Gillan mentionna qu’elle devait bien suivre Killian parce que c’était son maître, et qu’il n’y avait qu’elle qui soit capable de l’empêcher de découper tout le monde en lanières si jamais l’envie lui prenait. Le maître d’armes grogna une insulte, mais elle n’y fit pas attention.
Après encore quelques discussions, il fut décidé qu’ils continueraient vers le Nord. Après tout, ils n’avaient pas grand-chose d’autre à faire ailleurs, c’était une idée comme une autre. Soit ils traverseraient les plaines, soit ils longeraient les frontières en s’arrêtant dans divers villes et villages pour gagner leur pain. Killian fit la remarque que pour un groupe, ils n’étaient absolument pas organisés, et ils avaient à peu près autant de jugeote que des enfants de trois ans. Personne ne l’écouta protester et grogner. A ce stade, il valait mieux éviter.
Alors qu’ils sortaient, Pervenche prépara un sort de soin, puis attrapa le maître d’armes par le bras, et avant qu’il ait le temps de râler ou l’envoyer promener sèchement, appliqua fermement (et avec peut-être un peu plus de brutalité que nécessaire) sa paume contre son front. Il recula, et s’apprêtait à dire quelque chose, mais son expression changea légèrement, comme si elle s’adoucissait. Du moins, si c’était possible. Elle lui tapota le bras, et remarqua :
- Quand tu ne te sens pas bien… demande. Ca nous arrangera tous que tu ne sois pas grognon. Tu ne crois pas ?
Sans attendre la réponse, elle le laissa en plan et sortit à la suite des autres. Peut-être qu’elle ne pourrait rien faire contre les dizaines d’idiots qui croiseraient son chemin… Mais ça ne l’empêcherait pas d’essayer. En commençant par Killian.
Ils approchaient de la porte nord de la ville et traversaient une énième place, quand un appel derrière eux les fit sursauter. A vrai dire, ils ne se rendirent pas tout de suite compte que c’était eux qu’on appelait, et il fallut un sifflement strident pour attirer leur attention. Ils se retournèrent comme un seul homme, sauf encore une fois Killian qu’il fallut agripper par le bras pour qu’il s’arrête et marqua clairement sa désapprobation. Sigrid était en train de marcher vers eux, son bâton à la main et son sac de toile en bandoulière. Ewan la suivait, quelques pas en arrière, mettant à ce qu’il semblait un point d’honneur à ne pas les regarder, et serrant toujours son énorme grimoire contre sa poitrine. Ils se retrouvèrent sur le bord de la petite place. Après les salutations d’usage et considérations sur la santé des uns et des autres, Pervenche demanda aux nouveaux arrivants :
- Qu’est-ce qui se passe ? Besoin de nouveaux gardes du corps ?
Ewan se mordit la lèvre, et elle regretta immédiatement sa pique. Elle reprit :
- Je voulais dire, qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?
- Eh bien…. Tu n’es pas tombée tellement loin. Ariakan veut nous renvoyer chercher des trucs, et il s’est dit qu’on pourrait vous demander de nous accompagner.
- C’est pas une… Enfin, je veux dire, pourquoi pas. Mais pourquoi est-ce qu’il ne nous l’a pas demandé tout de suite ?
- L’idée lui est venue ce matin. Ca vous tente ?
- Ca dépend, intervint Meven. Pas de discussions de prix ? Pas de marchandage ?
Sigrid et Ewan échangèrent un regard qui n’échappa à personne.
- Bon, qu’est-ce que vous avez en tête ? demanda l’assassin.
- On veut venir avec vous.
- Comment ça, avec nous ? Vous voulez dire…
- Nous voulons… partir avec vous à l’aventure.
- C’est hors de question, intervint Killian. On n’a pas besoin de traîner des gamins avec nous.
Pervenche se tourna vers lui :
- Pour quelqu’un qui voulait pas t’associer avec nous et continuer de voyager tout seul, je trouve que tu protestes drôlement…
Gillan esquissa un sourire, et Meven ricana. Elle se tourna à nouveau vers la prêtresse.
- Pourquoi vous voulez venir ?
- On peut en discuter hors de la ville ?
- Qui a dit qu’on vous emmenait ? ajouta le maître d’armes.
- Killian, ils peuvent nous accompagner en-dehors de la ville, quand même, coupa à nouveau Pervenche. Ca ne mange pas de pain.
L’argument sembla le calmer, et ils reprirent donc tous le chemin de la porte. Au moment de la franchir, Sigrid tira un bout de parchemin de sa poche et le montra à un garde. Celui-ci l’examina patiemment un moment, puis se résolut à les laisser passer. Une fois hors d’écoute, et suffisamment loin de la ville, la prêtresse expliqua qu’en tant que membre du temple, il lui fallait une autorisation pour sortir de la ville. Ce qui bien sûr, fit bondir Pervenche :
- T’as besoin d’une autorisation pour partir ? Tu peux pas faire ce que tu veux ?
- Pas vraiment, répondit Sigrid. Ariakan, Menda le bénisse, ajouta-t-elle avec une pointe d’ironie, a beaucoup de travail sur les bras, et il n’a pas vraiment envie que ses soigneurs partent soigner ailleurs.
- Décidément, je l’aime de moins en moins, ce gars…
- Oh, je t’assure, je ne le porte pas dans mon cœur… Mais enfin, le travail, c’est le travail, la mission avant tout, toutes ces sortes de choses…
- Si je puis me permettre, intervint Meven, qu’est-ce que vous avez l’intention de faire, exactement ?
A la surprise de tous, ce fut Ewan qui répondit :
- Partir d’ici, simplement.
- Oui, ça, je pense qu’on l’a compris, reprit l’assassin. Une raison ?
Le mage haussa les épaules et regarda Sigrid, qui reprit :
- Saeron et le temple de MEnda, c’est bien, et soigner des gens aussi. Mais ils ont tout ce qui leur faut en matière de main d’œuvre, et comme je l’ai dit, je ne porte pas vraiment le grand prêtre dans mon cœur. Il est un peu… strict, disons. Et exigeant. Alors au bout d’un moment, on finit par en avoir marre.
- Et Ewan ?
A nouveau visé, le mage prit une intéressante tête de rouge qui contrastait avec ses cheveux, et marmonna derrière la couverture de son livre. Sigrid traduit :
- Sa mission de me protéger est finie. Soit il retourne à Adelsheim, soit il attend qu’on l’envoie de nouveau protéger quelqu’un. Sauf qu’Ariakan n’a pas bien pris… ce qui s’est passé, et qu’il risquait fort de se retrouver coincé au temple pour un moment. Alors, comme je suis bonne et gentille, j’ai décidé de l’emmener avec moi. Pour lui faire prendre l’air. Et puis une délicate petite fleur comme moi se doit d’avoir quelqu’un pour la protéger, n’est-ce pas ?
- Si j’ai bien compris, résuma Pervenche, vous en avez marre de ce que vous êtes en train de faire parce que vous avez une figure supérieure qui vous énerve, et vous voulez partir à l’aventure.
- C’est ça.
- Ca me rappelle quelqu’un, dit Meven d’un faux ton contemplatif, avec un regard appuyé à la mercenaire, qui lui tira la langue. Sigrid regarda l’échange avec un sourire en coin. Pour Ewan, c’était difficile à dire, sa bouche était toujours cachée par la couverture de son livre, mais ses sourcils avaient quasiment atteint ses cheveux. L’assassin se tourna à nouveau vers eux :
- Si j’ai bien compris, vous aussi souhaitez courir l’aventure, de préférence avec nous.
- C’est toujours plus rassurant de partir courir la nature en compagnie de gens qui sont à peu près capables, plutôt que juste nous deux. Une prêtresse et un mage, on va pas aller bien loin tout seuls.
- Et donc, vous voulez vous rajouter à la fête, c’est ça ? soupira-t-il.
Sigrid eut un sourire qui voulait très nettement dire « tu sais ce que je veux, je sais que tu sais, et tu sais que j’ai raison ». Elle contempla ses ongles et remarqua :
- C’est joli et pratique, d’être une belle bande de combattants comme ça, mais je ne voudrais vraiment pas être à votre place si vous tombez sur un individu beaucoup plus fort que monsieur l’assassin et monsieur le… maître d’armes. Vous avez eu de la chance, la dernière fois, mais je doute que quelqu’un qui n’ait que des notions de magie de soin puisse faire quelque chose…
Killian grogna, ce que tout le monde interpréta automatiquement comme « moi, être blessé par un guerrier nécessairement moins bon que moi ? tu rêves ! ». Sigrid se contenta de remarquer :
- Si tu n’avais pas été aussi rapide, la dernière fois, tu aurais perdu deux doigts. Et je doute que Pervenche, si elle est assez douée pour les migraines et les gueules de bois, puisse vraiment remettre des membres en place…
La jeune fille secoua la tête, un peu honteuse, et le maître d’armes remarqua :
- Ca pourrait être le cas, mais il ne m’a pas touché. Alors ton argument est inutile.
- Pour toi, peut-être, mon grand. Mais peut-être pas pour les autres. Je suppose qu’un assassin sera beaucoup moins utile avec une jambe en moins… Quant à un mage, ça peut vous être utile également. Alors pourquoi ne pas faire une sorte d’alliance, et continuer votre route avec de nouveaux compagnons qui sauront se montrer très utiles ?
Killian persistait à grogner, mais comme l’avis général était qu’ils avaient intérêt à s’adjoindre les services d’une soigneuse (et du mage associé), il finit par se ranger à la majorité, en affirmant clairement et nettement qu’il ne se chargerait pas de leur protection. Sigrid haussa les épaules et affirma qu’elle n’en aurait certainement pas besoin, merci bien. Les sept nouveaux compagnons prirent donc la route vers le nord, et probablement vers des aventures qui se montreraient certainement très animées.
Il fallut attendre qu’ils s’arrêtent au milieu de la journée, pour finalement avoir une occasion de discuter avec Ewan. Jusqu’ici, le mage s’était montré très silencieux, marchant en regardant obstinément ses pieds et serrant un énorme livre à couverture de cuir contre sa poitrine. Pervenche lui avait demandé s’il s’agissait d’un livre de sorts et s’il l’utilisait en combat, il avait secoué la tête sans même la regarder. Jusqu’à présent, personne n’avait encore même entendu le son de sa voix. Sigrid se contenta de mentionner qu’il n’était pas très sociable et qu’il valait mieux le laisser tranquille pour le moment. Meven se le tint pour dit, et se rabattit sur Hélios pour tenter de le rendre dingue, réclamant une récompense pour ses actes de bravoure exceptionnels contre leurs ennemis. Le cavalier lui promit de l’étrangler.
Ils s’assirent au bord d’une rivière bienvenue alors que le soleil était au-dessus d’eux. Hélios se dévoua pour cuisiner une bestiole qu’il n’arrivait pas à identifier et dont il ne voulait surtout rien savoir (Killian s’était montré assez… sauvage dans sa chasse). Les autres s’installèrent dans l’herbe, formant inconsciemment une sorte de cercle autour d’Ewan. Le mage leur lança des coups d’œil rapides, nerveux, et se rapprocha instinctivement de Sigrid, qui posa une main réconfortante sur son épaule. Pervenche voulut entamer la conversation, mais qu’est-ce qu’il y avait à demander à un gamin aux cheveux bleus qui avait l’air terrorisé ? C’est vrai qu’une bande armée qui vous entourait comme ça, ce n’était pas rassurant… Elle tendit la main, attrapa une mèche ondulée, le faisant reculer brutalement, et demanda, d’un ton qu’elle espérait rassurant :
- Comment ça se fait que tu aies les cheveux comme ça ? C’est naturel ?
Il la regarda rapidement, puis fixa à nouveau ses pieds et marmonna :
- Retour de sort. C’est… définitif.
Personne, pas même la poigne d’acier de Killian, ne put empêcher Meven de lever les bras au ciel et de s’exclamer : « Mais alors, il parle ! », ce qui lui valut un coup sur la tête plus violent que d’habitude, et Ewan se replia un peu plus sur lui-même. Pervenche lui lança un regard d’avertissement, et reprit, plus doucement :
- Et si tu nous parlais un peu de toi, hein ?
- … n’y a pas grand-chose… à dire…
- Pas grand-chose ? intervint Meven d’un ton plus calme. D’où tu sors ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Comment tu en es arrivé à escorter une prêtresse ?
- Et à te faire kidnapper ? ajouta Killian.
Ewan leva la tête, et une expression blessée apparut sur ses traits, mais elle disparut avant même qu’on puisse s’assurer qu’elle ait vraiment été là. Il entreprit d’expliquer, lentement, toujours à voix presque basse :
- On… m’a proposé d’escorter certaines personnes… Comme entraînement. Pour fortifier mes pouvoirs. Mon maître pensait que c’était une bonne idée… J’ai atterri à Saeron, on m’a demandé d’escorter Dame Sigrid. Dans la forêt, ces… individus nous sont tombés dessus. Ils m’ont emporté jusqu’au château, pour demander de l’argent à mon maître. Et… c’est tout.
- Fortifier tes pouvoirs, répéta Killian, lentement, en faisant traîner les syllabes.
- C’est… ça…
- Tu parles d’une réussite. Se faire kidnapper par des idiots pareils. Même Meven a réussi à s’en sortir, et il est nul.
L’assassin lança une injure particulièrement imagée qui les fit tous grogner ou rougir. Sauf, de manière assez étonnante, Sigrid, qui ne réagit pas. Pervenche reprit, ignorant le maître d’armes :
- Fais pas attention à cet abruti. Qu’est-ce qui s’est passé ? Du moins… si ça t’embête pas d’en parler. Parce que si ton maître est le fameux Loki d’Adelsheim…
Elle attendit qu’il confirme d’un hochement de tête.
- Dans ce cas, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu aurais pu les griller sur place, non ? Je veux dire, tu dois être… assez fort pour ça.
Long silence. Killian décida d’en rajouter une couche :
- Pourquoi tu t’es laissé capturer comme une donzelle, et qu’il a fallu te secourir ? Pourquoi tu ne t’es pas servi de tes fabuleux pouvoirs magiques pour les éradiquer sur place et te barrer, hein ? Et pourquoi…
- TA GUEULE, BORDEL ! lui cria Pervenche. Tu peux pas la fermer et arrêter d’en rajouter ?
- Le maître d’armes eut l’air choqué qu’elle ose lui parler ainsi. Il voulut répliquer, mais Gillan l’attrapa par l’épaule, serrant suffisamment fort pour que ses doigts se plantent dans sa chair, et lui dit :
- Elle a raison, t-tu sais.
Elle l’entraîna à l’écart pour tenter de le calmer. Pendant ce temps, Pervenche se tourna à nouveau vers le mage, et demanda doucement :
- Qu’est-ce qui s’est passé, alors ?
Ewan ne répondit pas tout de suite. Il regarda Killian, qui donnait l’impression de bouder, ou peut-être de s’être totalement désintéressé d’eux, Meven qui s’appuyait sur l’épaule d’Hélios, Hélios qui avait renoncé à l’écarter et se préoccupait de sa cuisine, apparemment sourd à ce qui l’entourait, mais gardant l’oreille dressée, Gillan qui alternait entre le regarder et surveiller le maître d’armes, et Pervenche et Sigrid qui l’encadraient, l’air inquiètes. Il soupira, et avoua dans un souffle :
- J’avais peur.
La mercenaire n’osa pas insister, de peur qu’il se replie de nouveau dans sa coquille. Il finit toutefois par se décider à développer, en gardant le regard obstinément fixé sur ses mains :
- C’était… la première fois que je quittais… Adelsheim. Je n’étais… pas préparé à tout ça. Alors… quand je me suis retrouvé face à ce… cet individu… j’ai paniqué, et j’ai perdu tous mes moyens. Mais ça… vous ne comprendriez pas, n’est-ce pas, maître d’armes ?
Killian lui jeta un regard ennuyé par-dessus son épaule, mais n’ajouta rien. Pervenche demanda :
- Je sais que ça va te paraître idiot, et l’autre andouille là-bas m’a déjà dit que j’avais tendance à poser des questions idiotes, mais… Est-ce que le fait d’avoir peur ou d’être en colère ne facilite pas l’utilisation de la magie ? Enfin du moins, c’est ce que notre professeur nous disait. Que ces émotions fortes et leur énergie pouvait être convertie en puissance magique. Ou quelque chose comme ça. J’ai jamais vraiment écouté.
Ewan répondit sans la regarder, tirant nerveusement sur ses mitaines :
- Les mages… ont besoin de leur concentration. Plus leurs pouvoirs sont forts… plus ils doivent garder leur calme… Ne vous vexez pas… mais à votre niveau, ça ne joue pas beaucoup, que vous soyez calme ou non…
- J’suis pas vexée, t’en fais pas, l’assura-t-elle avec un sourire. La magie, ça a jamais été mon truc.
Le mage continua, plus pour lui-même que pour ses auditeurs :
- Les mages… qui ont des pouvoirs importants… contrôlent des forces très importantes. Des forces dévastatrices… Il est très important… qu’ils gardent la tête froide en toute circonstance. A la moindre perte de contrôle sur leur sort, celui-ci peut se retourner contre eux… Je parle de forces capables de ravager des pays entiers… A la moindre émotion non retenue… ils sont oblitérés…
- C’est ce qui t’est arrivé pour tes cheveux, c’est ça ? demanda la mercenaire.
- Ca… et deux semaines d’inconscience. Et j’ai eu de la chance.
Hélios brisa le silence gênant qui menaçait de s’installer en distribuant le repas à la ronde et en leur conseillant de manger vite, ce qu’ils s’empressèrent de faire.
Ils arrivèrent à Saeron tard dans la soirée, et se séparèrent : Meven et Pervenche accompagnèrent Sigrid et Ewan au temple, Gillan et Hélios se chargèrent de se trouver des chambres à l’auberge la plus proche, et Killian disparut, probablement vexé d’avoir été traité de manière qu’il estimait indigne de lui. Comme la première fois qu’ils étaient venus, le temple grouillait d’activité, blessés et malades un peu partout, et une nuée de prêtres et de soigneurs qui s’en occupaient. A nouveau, on les conduisit dans le bureau d’Ariakan. Malgré l’heure tardive, le grand prêtre était toujours à son bureau, en train de consulter des documents. Quand il les vit entrer, il se leva, bras étendus dans un geste accueillant, et s’exclama :
- Enfin, vous voilà ! Je commençais à être inquiet !
- Et pourtant, nous ne sommes partis qu’hier à sa recherche, répondit Meven. Pensiez-vous vraiment que cette tâche nous demanderait si peu de temps ?
- Vous marquez un point, jeune homme. J’avoue que mon inquiétude était un peu… prématurée, mais on m’a dit que la région était dangereuse… Je suis ravi de vous revoir. Et particulièrement toi, Sigrid. J’étais très inquiet pour toi.
La soigneuse répondit d’un signe de tête que Pervenche trouva un peu sec. Arkiakan demanda des explications sur la situation, et Meven lui raconta ce qui était arrivé, passant sur la manière dont la bande avait été mise hors d’état de nuire ; un serviteur d’une déesse pacifique n’aurait peut-être pas voulu entendre parler de violence… Il les écouta patiemment, hochant la tête aux bons moments. Quand l’assassin se tut, il conclut par :
- Je vous remercie d’avoir pris autant de risques pour nous ramener notre prêtresse.
- Nous avons été payés pour ça, après tout, répondit l’assassin.
- Et je te demande toutes tes excuses, Sigrid, pour t’avoir envoyée exécuter une mission aussi dangereuse. Si j’avais su que cela se passerait ainsi, j’aurais pris davantage de précautions avant de t’y envoyer.
La manière dont il regarda Ewan avait de quoi donner des frissons dans le dos. Le mage se contentait de serrer son livre contre lui et de fixer ses pieds, sans un mot. Pervenche se retint de faire un commentaire, ce n’étaient pas ses affaires. Le grand prêtre leur remit une bourse emplie de pièces qui tintaient agréablement, que Meven s’empressa d’empocher. Les deux prirent congé sans demander leur reste, préférant laisser Ariakan s’occuper de ses affaires tout seuls.
Ils tentaient de trouver leur chemin parmi les petites rues et d’arriver jusqu’à l’auberge, quand Pervenche remarqua :
- C’est moi, ou le grand prêtre est un peu un con, sur les bords ?
- Ca dépend, tu te bases sur quelle échelle pour déterminer ça ? Parce que si tu prends Killian…
- Oh, je sais qu’entre lui et toi, c’est l’amour fou. On dirait des gamins qui se disputent.
- Pas ma faute si c’est un abruti. S’il n’avait pas d’aussi belles fesses…
L’assassin s’arrêta net en voyant le regard qu’elle lui lança. Il leva les mains en un geste de défense et s’exclama :
- Quoi ?! Je ne peux même plus admirer une des belles créations de Dame Nature ?
- Je ne suis pas sûre que Raïjena soit vraiment à blâmer… ou à féliciter pour ça.
- Il n’empêche que c’est un con. Un con avec de beaux muscles et un beau fessier.
- Et des jolis cheveux, répliqua Pervenche en jouant avec une mèche des siens. Tu veux continuer de faire l’article, ou tu vas t’arrêter là et me dire où tu veux en venir ? Ou juste continuer à louer la déesse de la nature pour le postérieur de ton compagnon de voyage ?
- Raïjena soit louée, je maintiens. Et sinon, sur une échelle de connerie qui va de 0 – moi-même – à 10 – Killian et sa gentillesse légendaire – où tu placerais Ariakan ?
- J’sais pas, répondit-elle après un moment de réflexion. 6 ou 7, je dirais.
- Et qu’est-ce qui nous vaut ce jugement de caractère très acéré ? demanda l’assassin avec un clin d’œil.
- J’sais pas. Je l’aime pas, c’est tout.
- Je devrais toujours me fier à ton avis éclairé, avisé et fondé sur de solides observations.
- Arrête, idiot, lui dit-elle avec un léger coup dans le bras. C’est juste que… J’ai vraiment eu l’impression qu’il en avait strictement rien à cirer d’Ewan. Tout ce qu’il voulait, c’était que Sigrid revienne. T’as entendu ? C’est lui qui s’est fait kidnapper, mais il s’est excusé auprès d’elle pour tous les ennuis attirés.
- Il voulait récupérer sa prêtresse, je suppose.
- Il aurait pu le faire autrement qu’en accablant Ewan. C’était pas sa faute, le pauvre. T’as vu comment il l’a regardé ? On aurait cru qu’il voulait le faire fondre sur place. Tout ça parce qu’il s’est fait kidnapper.
Meven lui lança un drôle de coup d’œil sans répondre, et elle demanda :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Je connais ce ton. La dernière fois que tu l’as utilisé, on s’est retrouvés avec un cavalier sur les bras.
- Ose dire que tu regrettes.
- Je pense que je devrais également remercier Raïjena pour cette adorable création, ou quelque chose du genre, mais là n’est pas le sujet.
- Et il est où ?
- Tu veux le récupérer, avoue. Tu veux qu’on l’emmène avec nous.
Elle réfléchit un instant.
- Je sais pas, franchement. Ca a pas l’air d’être son genre, de se balader avec des gens comme nous. T’as bien vu, il avait la trouille chaque fois qu’on l’approchait un peu trop, et il parle pas beaucoup. A mon avis, il serait pas d’accord. Même si, franchement, un mage dans l’équipe, ça serait pas si mal. Ne serait-ce que parce que je suis nulle en magie.
- Et alors ? On se débrouille suffisamment bien. Surtout avec un assassin de mon calibre ! Et un tueur fou comme Killian, ajouta-t-il après un instant de réflexion.
- Le jour où on tombe sur un meilleur bretteur, qui pourra être tué uniquement grâce à la magie, on serait bien contents d’avoir un mage dans l’équipe…
Un instant de silence, pendant lequel ils tentèrent de ne pas trébucher sur les pavés qu’ils n’arrivaient pas à distinguer. Finalement, Meven reprit la parole :
- C’est bien joli, ces théories, mais ça existe, les individus qui ne peuvent être battus que par la magie ?
- Sûrement. Mais de toute façon, il ne voudra pas venir avec nous.
- Ca a l’air de te déranger, petite.
- Bah… J’sais pas. Je l’aime bien, moi, il est sympa. Même s’il ne parle pas beaucoup. D’un autre côté, c’est reposant.
- Et puis tu parles assez pour deux… ou trois, la taquina Meven.
- Crétin. Et puis, c’est dommage qu’il se fasse engueuler pour quelque chose qui n’est pas sa faute, aussi.
- Grande découverte ! Pervenche réalise que les gens sont méchants !
- Tu te prends pour Killian, maintenant, à te moquer des autres ?
- Quoi ? Ton petit orgueil est blessé ?
Elle se contenta de marmonner :
- T’es naze.
Et d’accélérer le pas, vraisemblablement pour le laisser sur place. Stratagème idiot qui n’allait certainement pas marcher avec lui. Il la rattrapa en deux enjambées, passa le bras autour de ses épaules, évita le coup de coude agacé, et expliqua :
- Il ne faut pas mal le prendre, petite fleur.
- Ne m’appelle PAS petite fleur !
- Alors écoute les conseils de ton gentil mentor plus sage et avisé. Tu ne peux pas toujours prendre les choses comme ça, autant à cœur. Déjà, tu vas finir par faire une montagne de n’importe quoi. Ensuite, tu rencontreras d’autres personnes aussi peu sympas dans ta vie. Pas des monstres, pas des crétins comme Killian. Juste… des gens pas toujours très honnêtes et qui ne font pas toujours que le bien. Tu ne peux pas les changer, et tu ne peux pas tous les empêcher d’agir comme ça. Parfois, il faut choisir ses batailles. Et les crétins comme ça, tu te contentes de les ignorer, et de les éviter.
- Ca veut dire que j’aurais dû t’éviter ?
- Moi, j’ai un bon fond, au moins. Je ne tue que les crétins.
- Tu devrais tuer Killian, alors.
- Et priver le monde d’un aussi joli fessier ? Jamais !
Elle secoua la tête, navrée, et le regarda s’engouffrer dans l’auberge qu’ils avaient finalement atteinte, en réclamant une demi-douzaine de verres de bière et une jolie serveuse. Il n’avait pas tout à fait tort, si on exceptait son comportement envers Ewan, Ariakan était plutôt une bonne personne. Elle ne pouvait pas vraiment lui sauter à la gorge juste pour un petit écart de comportement. D’ailleurs, Ewan lui en voudrait probablement si elle commençait à se mêler de ses affaires, même si elle en mourait d’envie. Il fallait qu’elle se retienne, et qu’elle garde le contrôle de cette partie d’elle-même qui souhaitait sauter à la gorge du grand prêtre pour lui apprendre à parler aux petits mages, ou il allait lui arriver des bricoles. Bien que ça ne s’annonçait pas très facile, pour une pseudo défenseuse du Bien et de la Justice telle qu’elle s’imaginait… Enfin, au moins, Meven avait réussi à la faire sourire avec ses plaisanteries… Elle finit par rentrer elle aussi dans l’auberge. L’assassin était installé à une table, et visiblement très occupé à jouer à un jeu à boire avec un groupe d’individus inconnus et, surprise, Killian. Qui avait l’air toujours aussi supérieur et hautain, mais qui descendait lui aussi son alcool avec un rythme admirable. Elle considéra un moment l’idée de les rejoindre et éventuellement de les provoquer un peu, mais ce n’était peut-être pas une idée si brillante. Et puis, elle était fatiguée. Autant ne pas tenter le diable. Elle monta donc à l’étage, rejoignit la chambre où Gillan l’attendait. En la voyant entrer, l’épéiste s’exclama « enfin ! » et plongea sous sa couverture avec un couinement de bonheur. Pervenche souffla la flamme de la lampe et l’imita, plongeant avec bonheur dans un sommeil bien mérité.
Ils se réunirent dans la grande salle de l’auberge le lendemain matin, selon ce qui devenait une habitude, autour d’un petit déjeuner copieux auquel tous, sauf Killian, firent honneur. Le maître d’armes avait sa tête des mauvais jours (c’est-à-dire un tout petit peu plus grognon que d’habitude, et le regard noir à pleine puissance n’épargnant personne), et Meven le regardait avec un sourire en coin qui en disait long sur ce qui s’était passé la veille. Lui-même ne gardait aucune trace de l’alcool qu’il avait certainement avalé par litres. Encore une fois, ils discutèrent de ce qu’ils allaient faire ensuite. Pervenche voulait continuer vers le nord, comme on leur avait conseillé. Hélios était d’accord pour n’importe quelle direction, tant qu’on s’éloignait du sud. Meven était prêt à aller partout où le cavalier irait, et celui-ci renouvela ses menaces de blessures graves si jamais il continuait ses assauts pervers. Killian boudait de n’avoir pas eu son combat grandiose, et voulait des ennemis puissants à affronter. Et Gillan mentionna qu’elle devait bien suivre Killian parce que c’était son maître, et qu’il n’y avait qu’elle qui soit capable de l’empêcher de découper tout le monde en lanières si jamais l’envie lui prenait. Le maître d’armes grogna une insulte, mais elle n’y fit pas attention.
Après encore quelques discussions, il fut décidé qu’ils continueraient vers le Nord. Après tout, ils n’avaient pas grand-chose d’autre à faire ailleurs, c’était une idée comme une autre. Soit ils traverseraient les plaines, soit ils longeraient les frontières en s’arrêtant dans divers villes et villages pour gagner leur pain. Killian fit la remarque que pour un groupe, ils n’étaient absolument pas organisés, et ils avaient à peu près autant de jugeote que des enfants de trois ans. Personne ne l’écouta protester et grogner. A ce stade, il valait mieux éviter.
Alors qu’ils sortaient, Pervenche prépara un sort de soin, puis attrapa le maître d’armes par le bras, et avant qu’il ait le temps de râler ou l’envoyer promener sèchement, appliqua fermement (et avec peut-être un peu plus de brutalité que nécessaire) sa paume contre son front. Il recula, et s’apprêtait à dire quelque chose, mais son expression changea légèrement, comme si elle s’adoucissait. Du moins, si c’était possible. Elle lui tapota le bras, et remarqua :
- Quand tu ne te sens pas bien… demande. Ca nous arrangera tous que tu ne sois pas grognon. Tu ne crois pas ?
Sans attendre la réponse, elle le laissa en plan et sortit à la suite des autres. Peut-être qu’elle ne pourrait rien faire contre les dizaines d’idiots qui croiseraient son chemin… Mais ça ne l’empêcherait pas d’essayer. En commençant par Killian.
Ils approchaient de la porte nord de la ville et traversaient une énième place, quand un appel derrière eux les fit sursauter. A vrai dire, ils ne se rendirent pas tout de suite compte que c’était eux qu’on appelait, et il fallut un sifflement strident pour attirer leur attention. Ils se retournèrent comme un seul homme, sauf encore une fois Killian qu’il fallut agripper par le bras pour qu’il s’arrête et marqua clairement sa désapprobation. Sigrid était en train de marcher vers eux, son bâton à la main et son sac de toile en bandoulière. Ewan la suivait, quelques pas en arrière, mettant à ce qu’il semblait un point d’honneur à ne pas les regarder, et serrant toujours son énorme grimoire contre sa poitrine. Ils se retrouvèrent sur le bord de la petite place. Après les salutations d’usage et considérations sur la santé des uns et des autres, Pervenche demanda aux nouveaux arrivants :
- Qu’est-ce qui se passe ? Besoin de nouveaux gardes du corps ?
Ewan se mordit la lèvre, et elle regretta immédiatement sa pique. Elle reprit :
- Je voulais dire, qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?
- Eh bien…. Tu n’es pas tombée tellement loin. Ariakan veut nous renvoyer chercher des trucs, et il s’est dit qu’on pourrait vous demander de nous accompagner.
- C’est pas une… Enfin, je veux dire, pourquoi pas. Mais pourquoi est-ce qu’il ne nous l’a pas demandé tout de suite ?
- L’idée lui est venue ce matin. Ca vous tente ?
- Ca dépend, intervint Meven. Pas de discussions de prix ? Pas de marchandage ?
Sigrid et Ewan échangèrent un regard qui n’échappa à personne.
- Bon, qu’est-ce que vous avez en tête ? demanda l’assassin.
- On veut venir avec vous.
- Comment ça, avec nous ? Vous voulez dire…
- Nous voulons… partir avec vous à l’aventure.
- C’est hors de question, intervint Killian. On n’a pas besoin de traîner des gamins avec nous.
Pervenche se tourna vers lui :
- Pour quelqu’un qui voulait pas t’associer avec nous et continuer de voyager tout seul, je trouve que tu protestes drôlement…
Gillan esquissa un sourire, et Meven ricana. Elle se tourna à nouveau vers la prêtresse.
- Pourquoi vous voulez venir ?
- On peut en discuter hors de la ville ?
- Qui a dit qu’on vous emmenait ? ajouta le maître d’armes.
- Killian, ils peuvent nous accompagner en-dehors de la ville, quand même, coupa à nouveau Pervenche. Ca ne mange pas de pain.
L’argument sembla le calmer, et ils reprirent donc tous le chemin de la porte. Au moment de la franchir, Sigrid tira un bout de parchemin de sa poche et le montra à un garde. Celui-ci l’examina patiemment un moment, puis se résolut à les laisser passer. Une fois hors d’écoute, et suffisamment loin de la ville, la prêtresse expliqua qu’en tant que membre du temple, il lui fallait une autorisation pour sortir de la ville. Ce qui bien sûr, fit bondir Pervenche :
- T’as besoin d’une autorisation pour partir ? Tu peux pas faire ce que tu veux ?
- Pas vraiment, répondit Sigrid. Ariakan, Menda le bénisse, ajouta-t-elle avec une pointe d’ironie, a beaucoup de travail sur les bras, et il n’a pas vraiment envie que ses soigneurs partent soigner ailleurs.
- Décidément, je l’aime de moins en moins, ce gars…
- Oh, je t’assure, je ne le porte pas dans mon cœur… Mais enfin, le travail, c’est le travail, la mission avant tout, toutes ces sortes de choses…
- Si je puis me permettre, intervint Meven, qu’est-ce que vous avez l’intention de faire, exactement ?
A la surprise de tous, ce fut Ewan qui répondit :
- Partir d’ici, simplement.
- Oui, ça, je pense qu’on l’a compris, reprit l’assassin. Une raison ?
Le mage haussa les épaules et regarda Sigrid, qui reprit :
- Saeron et le temple de MEnda, c’est bien, et soigner des gens aussi. Mais ils ont tout ce qui leur faut en matière de main d’œuvre, et comme je l’ai dit, je ne porte pas vraiment le grand prêtre dans mon cœur. Il est un peu… strict, disons. Et exigeant. Alors au bout d’un moment, on finit par en avoir marre.
- Et Ewan ?
A nouveau visé, le mage prit une intéressante tête de rouge qui contrastait avec ses cheveux, et marmonna derrière la couverture de son livre. Sigrid traduit :
- Sa mission de me protéger est finie. Soit il retourne à Adelsheim, soit il attend qu’on l’envoie de nouveau protéger quelqu’un. Sauf qu’Ariakan n’a pas bien pris… ce qui s’est passé, et qu’il risquait fort de se retrouver coincé au temple pour un moment. Alors, comme je suis bonne et gentille, j’ai décidé de l’emmener avec moi. Pour lui faire prendre l’air. Et puis une délicate petite fleur comme moi se doit d’avoir quelqu’un pour la protéger, n’est-ce pas ?
- Si j’ai bien compris, résuma Pervenche, vous en avez marre de ce que vous êtes en train de faire parce que vous avez une figure supérieure qui vous énerve, et vous voulez partir à l’aventure.
- C’est ça.
- Ca me rappelle quelqu’un, dit Meven d’un faux ton contemplatif, avec un regard appuyé à la mercenaire, qui lui tira la langue. Sigrid regarda l’échange avec un sourire en coin. Pour Ewan, c’était difficile à dire, sa bouche était toujours cachée par la couverture de son livre, mais ses sourcils avaient quasiment atteint ses cheveux. L’assassin se tourna à nouveau vers eux :
- Si j’ai bien compris, vous aussi souhaitez courir l’aventure, de préférence avec nous.
- C’est toujours plus rassurant de partir courir la nature en compagnie de gens qui sont à peu près capables, plutôt que juste nous deux. Une prêtresse et un mage, on va pas aller bien loin tout seuls.
- Et donc, vous voulez vous rajouter à la fête, c’est ça ? soupira-t-il.
Sigrid eut un sourire qui voulait très nettement dire « tu sais ce que je veux, je sais que tu sais, et tu sais que j’ai raison ». Elle contempla ses ongles et remarqua :
- C’est joli et pratique, d’être une belle bande de combattants comme ça, mais je ne voudrais vraiment pas être à votre place si vous tombez sur un individu beaucoup plus fort que monsieur l’assassin et monsieur le… maître d’armes. Vous avez eu de la chance, la dernière fois, mais je doute que quelqu’un qui n’ait que des notions de magie de soin puisse faire quelque chose…
Killian grogna, ce que tout le monde interpréta automatiquement comme « moi, être blessé par un guerrier nécessairement moins bon que moi ? tu rêves ! ». Sigrid se contenta de remarquer :
- Si tu n’avais pas été aussi rapide, la dernière fois, tu aurais perdu deux doigts. Et je doute que Pervenche, si elle est assez douée pour les migraines et les gueules de bois, puisse vraiment remettre des membres en place…
La jeune fille secoua la tête, un peu honteuse, et le maître d’armes remarqua :
- Ca pourrait être le cas, mais il ne m’a pas touché. Alors ton argument est inutile.
- Pour toi, peut-être, mon grand. Mais peut-être pas pour les autres. Je suppose qu’un assassin sera beaucoup moins utile avec une jambe en moins… Quant à un mage, ça peut vous être utile également. Alors pourquoi ne pas faire une sorte d’alliance, et continuer votre route avec de nouveaux compagnons qui sauront se montrer très utiles ?
Killian persistait à grogner, mais comme l’avis général était qu’ils avaient intérêt à s’adjoindre les services d’une soigneuse (et du mage associé), il finit par se ranger à la majorité, en affirmant clairement et nettement qu’il ne se chargerait pas de leur protection. Sigrid haussa les épaules et affirma qu’elle n’en aurait certainement pas besoin, merci bien. Les sept nouveaux compagnons prirent donc la route vers le nord, et probablement vers des aventures qui se montreraient certainement très animées.