Chapitre 8
La voix
moqueuse, le ton supérieur, et surtout le fait que personne ne s’attendait à ce
que quelqu’un intervienne, du moins personne qui n’avait été payé
pour, fit sursauter absolument tous ceux qui étaient encore sur pied et
conscients, et tous ceux qui étaient capables de bouger se retournèrent vers
l’origine de la voix. Personne n’avait rien entendu, mais avec le raffut qu’ils
avaient fait, pour la plupart, ce n’était pas étonnant. Findor lança tout de
même une insulte aux derniers hommes de main arrivés, qui s’étaient tellement
focalisés sur le combat qu’ils n’avaient pas remarqué les nouveaux arrivants.
Et pourtant, ils n’étaient pas discrets. Un homme et une femme se tenaient à
une extrémité de la clairière, l’air éminemment peu concerné par ce qui se
passait. Ils avaient tous les deux le teint mat et les cheveux sombres des
nomades des plaines du Centre, et ils arboraient tous les deux une arme au
côté, probablement un sabre. Elle était plus petite que lui, les traits encore
assez juvéniles, plutôt agréable. Elle portait une longue chemise bordée de
motifs triangulaires fermée par une ceinture, sur une tunique et un pantalon,
le tout de couleurs vives, des bottes et des gants en cuir. Ses cheveux étaient
simplement attachés sur la nuque, et un bandeau les empêchait de gêner sa vue. Quant
à lui… Drôle de créature, vraiment. Les traits aigus, le menton volontaire et
l’expression supérieure et méprisante. Il portait une longue veste bleue qui
atteignait presque ses chevilles, sur une chemise à jabot et un pantalon rentré
dans ses bottes. Et surtout, ses cheveux, extrêmement longs, jusqu’à ses
genoux, étaient coupés en un curieux dégradé, au-dessus des oreilles. Une coupe
traditionnelle à n’en pas douter, qui n’éveillait strictement rien chez leurs
spectateurs. Mais en même temps, les spectateurs en question étaient plutôt
occupés à regarder les sabres, qui avaient l’air très dangereux, et leurs yeux,
or pour lui, bleus pour elle, qui brillaient du regard du prédateur qui attend
et espère le combat. Et puis, il y avait cette impression de danger qu’ils
dégageaient, tous les deux, le genre d’aura qui donne envie de prendre ses
jambes à son cou et de fuir très très loin.
Sans retirer sa lame de la plaie qu’il avait ouverte dans le visage de Meven, l’agrandissant suivant les mouvements que faisaient l’assassin pour se libérer, Findor demanda poliment :
- Que pouvons-nous faire pour vous, maîtres d’armes ? cherchez vous un renseignement ?
L’homme posa les yeux sur lui, un regard glacial qui voulait clairement dire qu’il ne valait pas plus qu’un insecte, et laissa tomber :
- Nous souhaitons prendre part au combat.
- Nous en sommes très flattés, maître, mais voyez-vous, il s’agit d’une fête privée, et nous n’aimons que moyennement voir des étrangers, même des maîtres d’armes talentueux comme je ne doute pas que vous l’êtes, se mêler de nos affaires. C’est… personnel, voyez-vous ? Je suis sûr que vous comprendrez…
- Visiblement, vous ne comprenez pas. Je ne demande pas la permission de venir « jouer » avec vous. Je vous informe que nous allons prendre part au combat. Ou, plus précisément, étant donné que vous êtes supérieur en nombre et que vous en profitez pour torturer, maltraiter et autres actes du genre, nous allons vous réduire en pièces. Mais c’est peut-être plus poli de vous prévenir avant, n’est-ce pas ?
Findor eut un mouvement vers le maître d’armes, pour le remettre à sa place. Tout se passa très vite. A peine son attention fut-elle distraite, que Meven se libéra d’un mouvement sec, envoyant accidentellement sur Pervenche les deux qui le tenaient, et les trois s’affalèrent par terre en tas, et se jeta sur le brigand, le plaquant au sol. Dans le même temps, les deux nouveaux venus dégainèrent leurs sabres et se jetèrent sur leurs ennemis désignés. La suite fut assez confuse. Pervenche était très occupée à se dépêtrer de ceux qui lui étaient tombés dessus en évitant d’être tuée ou piétinée, Hélios reprit directement son affrontement avec un épéiste et l’un de ses collègues qui l’avait rejoint, Elfi faisait de son mieux pour tirer sur les ennemis sans toucher les alliés. Mais surtout, les deux maîtres d’armes faisaient un véritable massacre, découpant et tranchant dans la masse, une valse de mort qui entraînait leurs adversaires et ne laissait que mort et destruction sur leur passage. Pervenche, Meven, Hélios et Elfi s’étaient mis hors d’atteinte, et les regardaient. Les corps s’abattaient sur leur passage, et ils ne s’arrêtaient pas, continuant de danser entourés par les éclairs de lumière de leurs lames. C’était fascinant.
Très vite, il ne resta plus que Findor et Maes, qui tentaient de résister, malgré la difficulté. La jeune fille à l’épée s’était arrêtée une fois que les hommes de main avaient mordu la poussière, mais l’autre maître d’armes avait l’air bien décidé à les hacher en menus morceaux. Alors qu’il allait passer à l’attaque, une attaque qui promettait d’être fatale, Meven cria :
- Attends ! Il faut qu’on les garde en vie, pour savoir qui les envoie !
Aucune réponse, on aurait dit qu’il ne l’avait même pas entendu. La lame de son sabre s’abattit pour porter le coup fatal, mais, au même moment, sa compagne assena au maître d’armes un coup de la poignée de son arme à l’arrière de la tête. Il se retourna vers elle, furieux, mais elle se lança dans une argumentation à voix basse qu’ils ne saisirent pas, mais qui eut le mérite de faire diminuer la folie meurtrière de ce décidément très étrange sabreur. Meven en profita pour aller attacher leurs nouveaux prisonniers. Les trois autres approchèrent du petit groupe, intrigués. Ce n’était pas tous les jours qu’on était secourus par d’étranges épéistes sortis de nulle part. Dont un était occupé à lécher le sang sur sa lame, avec une expression extatique qui faisait froid dans le dos. Pervenche prit soin de faire un grand détour en rejoignant Meven, pour éviter de passer trop près. L’assassin était très occupé à raconter à Findor comment il était tenté de lui taillader les joues comme il l’avait fait, ou plutôt de le faire à Maes et de l’obliger à regarder, puisqu’ils avaient l’air d’être si proches. Elle l’interrompit d’une bourrade qui faillit l’envoyer à terre une fois de plus, et tous les deux, ils se tournèrent vers leurs deux étranges sauveurs qui étaient toujours en train de discuter. Elfi et Hélios les rejoignirent une fois les blessures du cavalier arrangées. Ils restèrent tous les trois derrière l’assassin, le forçant bien malgré lui à prendre le rôle du porte-parole. Il regarda d’abord le maître d’armes buveur de sang, puis sa compagne. Son visage s’éclaira et il s’exclama :
- Gillan ? C’est toi ? Sérieusement, c’est toi ?
Elle eut l’air embarrassée, surtout quand tout le monde se tourna vers elle, avec des expressions allant de la curiosité vaguement marquée à la surprise complète. Elle répondit :
- S-Salut, Meven… Ca fait longtemps…
- Longtemps, en effet !
Meven traversa le groupe pour aller poser le bras sur les épaules de ladite Gillan, qui tourna complètement écarlate. Mais contrairement à Hélios, elle ne fit aucun geste pour le repousser. Il lui demanda :
- Et si tu faisais les présentations, dis-moi ?
- T-Tu es le seul ici à c-connaître à peu près tout le monde. P-Pourquoi tu ne le fais pas ?
- P-Parce que c’est plus drôle !
Ils avaient l’air partis pour se disputer, Gillan avait l’air agacée, mais Pervenche décida d’intervenir. Elle se présenta, imitée par Elfi et Hélios. Meven tenta bien de reprendre son couplet sur l’assassin le plus séduisant, mais un coup de coude de la part de son accoudoir l’en dissuada, lui gagnant un sourire de la part du cavalier. Ils se tournèrent avec un bel ensemble vers le seul qui n’avait pas encore parlé, et qui était fort occupé à nettoyer son épée de toutes les traces de sang qui l’ornaient. Ce n’est que quand il fut satisfait du résultat qu’il daigna donner son nom aux autres :
- Killian.
Et rien que son nom. Mais ça suffisait. Tout le monde avait entendu parler du fameux maître d’armes Killian, celui dont la lame filait plus vite que le vent, et qui avait un jour battu une armée entière à lui tout seul. On disait de lui qu’il était un tueur parfait, qu’il avait été tué par un homme qui faisait au moins deux fois sa taille avec une hache de la taille d’une tour, que son talent à l’épée n’avait d’égal que sa vitesse, sa grâce et sa cruauté, qu’il était capable de broyer un dragon à mains nues, et que dans ses veines ne coulait pas du sang, mais du métal aussi froid, aussi dur, aussi implacable que lui. Des dizaines d’histoires couraient sur lui, des légendes insensées dans lesquelles il avait déjà dévasté des continents entiers. Dans certaines villes, les mères se servaient de lui pour impressionner leurs enfants. La lame de son sabre était de métal rouge, et on disait qu’elle était teintée par le sang des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui étaient tombés sous ses coups. Killian la Lame Rouge, Killian Sans Cœur, Killian qui valsait avec la Mort, et c’était lui qui menait la danse. Ils étaient en présence d’un tueur de légende. Elfi le salua, Hélios le considéra avec un respect nouveau, Pervenche le fixa avec de grands yeux pleins d’étoiles, et Meven fit semblant de s’évanouir, gagnant un regard noir de plus.
Il fut rapidement décidé que le plus urgent était d’amener Elfi à bon port, de soigner leurs blessures et de récupérer leur récompense. Ensuite, ils pourraient interroger Findor et Maes, et discuter ce qu’ils allaient faire. Killian et Gillan, qui avaient plus ou moins comme objectif la même direction, acceptèrent de faire le trajet avec eux, même si elle n’avait pas l’air particulièrement enthousiaste de faire un bout de route avec Meven. Le lancier, lui, était bien content de ne plus avoir l’assassin sur le dos, au moins pendant un moment.
Les chevaux furent dévolus à Elfi, en raison de son statut de personne à protéger, Hélios, qui avait souffert du combat, et Pervenche, qui était également secouée. Meven promit de marcher à côté de son cheval pour lui éviter de tomber. Gillan et Killian étaient encore tout à fait frais, malgré la marche qu’ils avaient effectués et le combat livré, et il fut décidé qu’ils se chargeraient des prisonniers. En fait, ils avaient tellement peur de Killian qu’ils parcourraient probablement la distance qui les séparait de Gawain en courant pour lui échapper. Le petit cortège se mit en marche au pas, vers le nord-est et la ville qui était leur but.
Quand enfin ils arrivèrent à Gawain, la nuit était tombée depuis longtemps. Le chemin avait pris plus de temps que prévu, étant donné que la moitié de leur petite troupe était à pied, malgré le fait que Killian menaçait les prisonniers à intervalles réguliers pour les faire avancer plus vite. Meven avait passé la moitié de son temps à supplier Hélios de le laisser monter avec lui sur le cheval, arguant qu’il était « trooop fatigué », et l’autre moitié à poser des questions stupides et déplacées à Gillan pour la faire rougir et bégayer. Encore une fois, Killian était obligé de le faire rester dans le droit chemin, sans économiser les coups de pieds aux fesses, jusqu’à ce qu’il arrête en grognant que ce n’était pas la peine d’être aussi brutal, quand même. Pendant tout le trajet, Pervenche s’était montrée incroyablement silencieuse, et Hélios avait bien pensé lui demander pourquoi, ce n’était pas vraiment habituel, mais il s’était dit qu’après tout, ce n’était pas ses affaires, et qu’il ferait mieux de tenter de forcer Meven à lâcher sa botte, mais l’assassin geignait continuellement qu’il devait prendre appui parce que toutes ses forces avaient été consumées par son combat de titan, ce qui fit rire Gillan.
On ne leur fit heureusement pas de difficultés pour entrer en ville, malgré leur apparence plus que suspecte, avec toutes leurs taches de sang, leurs blessures, et leurs deux prisonniers attachés. Il leur suffit d’annoncer qu’ils étaient attendus de toute urgence à la maison Kaiser et qu’Elfi révèle son identité, pour qu’ils se retrouvent escortés par quatre gardes. Ils traversèrent ainsi une partie de la ville, sous bonne escorte, sous les yeux de tous ceux qui ouvraient leurs volets pour voir ce que pouvait être cet étrange cortège qui passait à cette heure.
Ils arrivèrent devant une maison qui, si c’était possible, était encore plus grande et impressionnante que la maison Dal Vecchio. On annonça Dame Elfi et sa suite, on les véhicula à nouveau dans des couloirs à boiseries et vitrines d’exposition pour des objets chers, et on les propulsa, tous les huit, jeune fille de bonne famille, mercenaires, maîtres d’armes et prisonniers, dans un bureau où visiblement, le maître de maison avait été réveillé en sursaut et les attendait, debout devant la fenêtre et drapé dans un manteau d’intérieur. En les voyant entrer et manquer de s’effondrer les uns sur les autres, il tonna :
- Enfin ! Nous vous attendions beaucoup plus tôt, nous étions inquiets ! Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui vous a retardés ainsi ?
Elfi s’avança, effectua une révérence parfaite d’autant plus impressionnante qu’elle était épuisée et réussissait à faire oublier sa tenue plus que débraillée, et répondit :
- Vous nous voyez bien désolés, monsieur, d’avoir été la cause de votre inquiétude. Nous serions arrivés plus tôt, comme cela était prévu, mais nous avons été attaqués en chemin, par une troupe supérieure en nombre. Nous avons capturé ces deux individus, les autres ont été tués avec l’aide de ces deux personnes, qui se sont portés à notre secours. Dès que ça nous a été possible, nous avons repris la route.
- Je vois. En tous cas, je suis bien satisfait de vous voir arriver saine et sauve. Enfin… Dans la mesure du possible, bien sûr. J’ai fait prévenir mon fils, il devrait arriver. Quant à votre escorte, je vous propose de l’héberger ici ce soir, et nous verrons demain pour votre récompense, et ce qu’il convient de faire avec vos prisonniers. Il est trop tard pour s’occuper de ce genre de choses. Je suppose que nous sommes tous bien fatigués, que vous souhaitez dîner, vous reposer et soigner vos blessures. Je vais donner des ordres dans ce sens.
Elfi salua une nouvelle fois, et maître Kaiser sonna ses domestiques. C’est alors qu’entra, non pas un majordome et une femme de chambre, mais Frederick Kaiser lui-même. Il était bien comme Elfi l’avait décrit, séduisant, avec des cheveux noirs qui ondulaient sur ses épaules, des yeux sombres au regard perçant, des traits acérés et volontaires. Elle avait juste oublié de préciser qu’il frôlait les deux mètres et devait se baisser en passant la porte. En le voyant, la jeune fille de bonne famille leva les bras au ciel et, laissant tomber pêle-mêle toute distinction et tenue correcte, courut se jeter à son cou. Frederick l’attrapa au vol et l’embrassa, sans se soucier le moins du monde d’avoir des spectateurs. Maître Kaiser se contenta de hausser les épaules, l’air de dire « ah, les jeunes… », et à vrai dire, dans le cas des spectateurs en question, ça ne les dérangeait pas, ça réchauffait même le cœur.
Deux hommes armés vinrent emmener Findor et Maes là où on pourrait les détenir pendant la nuit, et une poignée de serviteurs vinrent s’occuper des invités. Frederick refusa absolument de lâcher Elfi, et son père finit par leur donner l’autorisation de s’éclipser ensemble, ne serait-ce que pour avoir la paix. Hélios, Meven et Killian partagèrent la même chambre, pour la plus grande détresse du cavalier qui prévint l’assassin que s’il n’adoptait pas une conduite exemplaire, il le tuerait dans son sommeil. Le maître d’armes régla la question en annonçant que si l’un des deux avait l’audace de le réveiller par une dispute ou quoi que ce soit, il le ferait passer de vie à trépas de manière douloureuse, ce qui régla le conflit de manière extrêmement rapide. Pervenche et Gillan se retrouvèrent ensemble, et elles n’échangèrent que quelques mots avant de plonger dans un sommeil juste et réparateur.
Malgré tous les efforts des gardes de la famille Kaiser, du maître de maison lui-même, de son fils et de Meven et Killian, ni Findor, ni Maes n’avaient décoché un seul mot. Ils s’obstinaient à garder pour eux l’identité de la personne qui les avait envoyés enlever Elfi. Bien sûr, il n’avait pas été possible d’utiliser des techniques d’interrogatoire, comme l’un des gardes s’obstinait à les appeler, maître Kaiser s’y opposait, arguant qu’ils n’étaient pas des monstres, et qu’il y avait toujours moyen de négocier et de convaincre. Mais jusqu’ici, les menaces et la corruption n’avaient pas donné grand-chose, les deux brigands n’avaient rien dit du tout. Et le plus brutal qu’ils avaient osé utiliser était quelques gifles, ce qui, d’après Meven, était bien insuffisant pour délier la langue de deux brigands et mercenaires bien entraînés. Il n’y avait qu’à voir la cicatrice qui traversait le visage de Findor, d’une pommette à l’autre, qu’ils avaient fini par découvrir en lui ôtant son casque, pour deviner que ces deux-là n’étaient pas des tendres, loin de là. Le fait de perdre son couvre-chef avait eu l’air de lui en mettre un coup, mais il était resté muet néanmoins. Meven finit par en avoir assez, et pria le maître des lieux et ses hommes de quitter la pièce. Killian resta, curieux de ce qui allait pouvoir se passer.
Une fois assuré d’être seul avec les deux prisonniers ficelés sur leurs chaises et le maître d’armes adossé à l’un des murs, loin des yeux inquisiteurs et de ceux qui auraient pu le dénoncer, Il s’avança vers Findor et s’assit sur ses genoux, le faisant sursauter. Il passa le bras autour de ses épaules, croisa les jambes, dans une pose presque séductrice, et demanda :
- Alors, est-ce que tu vas me dire qui vous envoie ?
- Toujours pas, non.
- Tu en es vraiment sûr ? Tu me fais bien du chagrin, tu sais.
- Détache-moi et je te ferai un gros câlin, pour te consoler.
- C’est que, vois-tu, ça ne m’arrange pas, et mon ami ici non plus, dit l’assassin en désignant Killian, qui n’avait pas bougé. On aimerait bien savoir, histoire de pouvoir protéger Elfi. Elle est gentille, Elfi, non ? Elle ne mérite pas vraiment qu’on lui fasse du mal.
- Et ça te préoccupe ? C’est la première fois que j’entends parler d’un assassin avec un cœur, s’exclama Findor, faussement émerveillé. Fais attention, quelqu’un pourrait te le percer d’un coup de couteau ! Pour un peu, tu pourrais devenir une cible, toi aussi.
- Ce n’est pas gentil de piétiner mes sentiments, tu sais, le réprimanda Meven. Après tout, je ne suis qu’un homme, et il m’arrive, de temps en temps, très rarement, d’éprouver certains frémissements pour les gens qui m’entourent.
- Comme une envie de tuer ?
- De tuer, oui, mais de tuer ceux qui leur veulent du mal. Alors, est-ce que tu vas me dire ce que je veux savoir pour pouvoir protéger la pauvre Elfi ?
- Je crains que non. Il existe des assassins avec un cœur, et des mercenaires avec des principes. C’est étrange qu’on se rencontre ici, n’est-ce pas ?
- Ca ne m’arrange pas. Je vais devoir changer de tactique, tu ne crois pas ?
Maes voulut intervenir, mais un coup de pied de Killian dans sa chaise manqua le faire tomber et le réduisit au silence. Findor se contenta de lever un sourcil ironique. Sans bouger de son perchoir, Meven sortit l’un de ses couteaux avec un sourire mauvais. C’était une arme impressionnante, à la lame dentelée sur l’un des tranchants, longue comme son avant-bras. Un couteau de tueur. Il contempla un instant les reflets de la lumière des torches sur son arme, s’amusant à les renvoyer dans les yeux de sa victime.
- On me prend souvent pour un inoffensif, tu sais, parce que j’agis un peu comme un idiot. C’est pratique d’être pris pour un bon à rien un peu bêta, parce que personne ne se doute que j’ai aussi un côté méchant. Le genre qui aime bien torturer les gens, et qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut. Tu vois le genre ?
Encore une fois, le lever de sourcil interrogateur. Mais il y avait une petite étincelle dans les yeux de Findor, une petite étincelle qui n’était pas là avant et qui aurait pu être de l’amusement, mais Meven l’avait déjà vue plus d’une fois, et il savait reconnaître la panique soigneusement maîtrisée. Il continua donc :
- Tu vois… Je sais que tu ne veux pas me dire ce que je veux. Je comprends, tu sais. On t’a payé pour enlever Elfi, mais aussi pour garder le secret, et mourir avec si jamais tu étais pris. Tu es comme tous les autres, tu t’imagines que ça n’arrivera jamais, que tu es bien trop fort. Malheureusement, tu es tombé sur meilleur que toi. Moi, en l’occurrence.
Killian se racla bruyamment la gorge, et Meven lui lança un coup d’oeil exaspéré, avant de revenir à sa proie.
- Bon d’accord. Nous, en l’occurrence. Et maintenant, tu vas devoir mourir pour garder le secret. Ce n’est pas de chance, hein ? Tu n’as plus beaucoup d’options. Soit tu nous dis ce que tu sais tout de suite. Soit je te torture jusqu’à ce que tu me donnes la réponse. Soit je te tue et je continue avec ton copain, là.
L’étincelle de peur, plus marquée, cette fois. La peur de mourir ? Ou autre chose ? Il décida de pousser dans cette direction.
- Tu ne veux pas mourir, n’est-ce pas ? Surtout pour une poignée de pièces. Il serait beaucoup plus facile de me dire ce que tu sais. Je ne te tuerai pas, je ne suis pas un monstre, et je n’aime pas tuer pour le plaisir. Si seulement tu me disais ce que je voulais savoir, tu serais libre de partir, vous le seriez tous les deux.
- Bien sûr. Et ceux qui nous ont envoyé ne sauraient pas du tout qui vous a mis sur leur piste. C’est ça ?
On progressait. Mais pas encore assez. Il n’était pas encore assez terrorisé.
- Alors ? Tu vas me le dire ?
- C’est dommage, n’est-ce pas, que tu sois tombé sur quelqu’un qui a un minimum de principes, et de loyauté envers son employeur ? Contrairement à un raté dans ton genre, je ne trahis pas qui me fait confiance dès qu’un imbécile m’agite un couteau sous le nez en déblatérant des menaces usées jusqu’à la trame. Tu ne me fais pas peur, tu sais. Vas-y, fais-toi plaisir, je ne pense pas que tu pourras me faire craquer. Mais tu peux toujours essayer, si ça t’amuse.
- Eh bien, j’ai cru comprendre que découper le visage des gens était plutôt amusant. Tu ne m’en voudras pas d’essayer ?
Findor haussa les épaules, l’image même du détachement. Meven fut prompt à lui donner les deux mêmes entailles qu’il avait lui-même récolté lors de la bataille, en travers de la joue et sous l’œil, parallèles à la cicatrice qu’il avait déjà. Il les agrémenta de quelques blessures identiques, sur le front et les joues. Sans grand résultat, le brigand cilla à peine. Vexé par son manque de coopération, Meven se releva et rangea son couteau.
- Je te l’avais dit, non ? Tu n’es pas le premier à tenter ça, ça se voit, lança le brigand en désignant l’ancienne blessure traversant son visage. Vas-y, continue, tu peux t’amuser. Il paraît que ça détend. Tu veux des conseils, sinon ?
- Ne t’en fais pas, je m’y connais, répondit l’assassin. Mais visiblement, j’ai affaire à un dur, un vrai. Il faudrait que je taille dans la masse, ou que j’enlève quelques morceaux. Ca ferait désordre. Et puis je ne suis pas un cruel, moi.
Sourire soulagé de Findor, peut-être un peu vainqueur. Qui ne désarma pas Meven, bien au contraire. Il revint prendre sa place sur les genoux de l’autre, croisant les bras et s’appuyant sur sa poitrine.
- Bien, je suppose qu’on n’ira nulle part comme ça. Je n’ai pas envie de te massacrer, et tu n’as pas vraiment envie de parler. Mais, tu vois, tu n’es pas tout seul, poursuivit-il, regardant l’expression de Findor diminuer d’un degré. En fait, aucun de nous deux n’est seul, c’est beau ! Tu vois, mon ami, là ? Il a l’air gentil, hein ? Eh bien il n’est pas gentil du tout. Au contraire, il est cruel, et il n’a aucun souci, contrairement à moi, à faire du mal aux gens. Mais tu es un dur, tu n’as pas peur du méchant maître d’armes, n’est-ce pas ? C’est pour ça que je me pose la question. Est-ce que ton ami, là, est aussi fort et résistant que toi ? Parce qu’on s’est concentrés sur toi, mais vous êtes deux, n’est-ce pas ? Deux à connaître les informations qui nous intéressent. Alors voyons si Killian et Maes ont des choses intéressantes à se dire.
Ils se tournèrent tous les deux vers Killian, qui laissa tomber son côté impassible pour afficher un sourire prédateur absolument terrifiant. Il dégaina son sabre, et l’abattit sur le brigand ligoté. La lame ouvrit une profonde entaille dans sa jambe. Maes hurla, et Findor aussi. Le maître d’armes lécha le sang sur la lame, savourant le goût avec un air de connaisseur. Meven s’était reculé, et regardait la scène, assez intéressé. Il aurait juré voir l’autre brigand ciller. Un second coup, une seconde blessure, et cette fois-ci, il était sûr de l’entendre grincer des dents. Une troisième fois, la lame s’abattit, mais cette fois-ci, Findor, au cri de « Assez ! », l’arrêta à quelques centimètres de sa cible. Au lieu de compléter son geste, Killian posa la pointe du sabre sur la jambe du brigand, prêt à la transpercer, et se tourna vers Meven. Celui-ci lança :
- Alors ? Décidé à te montrer un peu plus bavard ? Ou je laisse monsieur le sabreur découper quelques tranches de ton ami ?
- Vous êtes une espèce tout à fait particulière de salauds, vous ne trouvez pas ?
- Allons, ce n’est pas comme si vous aviez des scrupules, tous les deux, non ? Tu l’as dit toi-même, plus tôt, les mercenaires, on peut les payer pour obtenir leur loyauté. Ce n’est même pas quelque chose de très valable, puisqu’il suffit d’une poignée de pièces. Alors, pourquoi est-ce que ça devrait te faire quelque chose qu’on tente d’obtenir l’information de ton camarade ? Tu as peur que ça te retombe dessus ?
Findor ne répondit pas, et il ne regardait même pas Meven, mais Killian. Celui-ci lui adressa une nouvelle fois son sourire charmeur et terrifiant, et appuya sur la garde de son sabre. La pointe s’enfonça dans la jambe de Maes, lui arrachant un nouveau hurlement et faisant couler un épais filet de sang. Findor grinça des dents, mais persista à garder le silence. Meven soupira :
- C’est bien ce que je pensais. Il ne parlera pas si on torture son ami. Il n’y a plus qu’à espérer que lui décide de parler avant que tu ne le tues… Essaye d’éviter de couper trop profond. En plus, Kaiser risque de ne pas être très content de voir son cachot décoré de gerbes de sang… Enfin, fais de ton mieux…
- Ca suffit.
Killian et Meven se tournèrent vers Findor, qui soupira.
- Retirez votre épée et arrêtez de le découper ainsi. Je vais parler.
- Parle d’abord, mon petit, on verra en cours de route s’il faut te motiver.
Findor grimaça, mais une nouvelle pression sur l’épée eut vite fait de le convaincre.
- Nous avons été payés par la famille Shalhm. Une autre famille de Gawain. Ils voient d’un mauvais œil les bénéfices que les Kaiser pourraient récolter de cette alliance, et ils voulaient leur part du gâteau. Ils voulaient nous faire kidnapper Dame Elfi, certainement pour faire pression, ou pour demander une rançon, je ne sais pas trop. C’est tout.
- Et comment savaient-ils que nous allions passer par là et quand ? insista Meven.
- Ils ne le savaient pas. Ils nous ont simplement dit que c’était le moment et l’endroit le plus probables. Nous avons attendu. La suite, vous la connaissez.
- Eh bien tu vois, ce n’était pas si difficile. C’est vraiment dommage qu’il ait fallu en passer par là pour obtenir quelques petites informations. J’avoue que je ne m’attendais pas à ça de ta part. Tu serais donc un tendre ?
- J’ai un minimum de morale, répliqua Findor. Qui conduit par exemple à ne pas laisser les plus faibles souffrir, pour une information qui finalement n’en vaut pas tant.
- Ne pas laisser les plus faibles souffrir… Tu aurais donc de la morale, Findor ? Tu défends les faibles et les mal-aimés ?
Le brigand ne daigna pas répondre, mais Meven tenait quelque chose, et pour tous les efforts endurés, il n’allait pas se priver d’appuyer dessus encore un peu.
- Je vois ce que c’est… Ce n’est pas de la morale ou de la générosité. C’est une forme de loyauté bien particulière, n’est-ce pas ? La loyauté qu’il y a entre deux compagnons de route de longue date ? Ou peut-être… plus que des compagnons de route ? Tu lui as déjà dit ? Déjà parlé de ce que tu ressens ?
Le brigand répondit par une série de jurons très colorés qui firent rire Killian sous cape. Le maître d’armes avait fini par retirer son arme de la plaie, et la nettoyait avec soin en lorgnant les flaques de sang. Maes était rouge vif, et d’où il était, Meven aurait juré voir des larmes rouler sur ses joues. Findor restait plus stoïque, mais son regard promettait mille morts à l’assassin si jamais il réussissait à mettre la main sur lui. Ce qui n’avait pas l’air de le perturber, pas du tout, parce qu’il continuait de délirer à propos de Findor, de Maes et de la relation qui les unissait.
- Je sais ce que c’est… On s’ennuie, on se sent seul, on en a assez de travailler en solitaire, et on cherche quelqu’un avec qui partager la solitude des grands espaces… Quelqu’un pour garder ses arrières. Et puis voilà qu’arrive l’autre, la personne qui complète parfaitement l’équipe, l’individu avec qui on va pouvoir faire un bout de chemin… Et encore, tu as de la chance, tu es tombé sur un mercenaire plutôt pas mal, et il a l’air doué… Regarde ce que je me trimballe, moi : une mercenaire dingue, un cavalier qui joue les intouchables, et peut-être bientôt deux maîtres d’armes !
- Qui te dit qu’on veut te rejoindre ? interrompit Killian.
- On en discutera plus tard, c’est promis. Occupe-toi de ton épée.
Le maître d’armes se redressa, le regard plus noir que jamais, mais l’assassin ne faisait déjà plus attention à lui. Il se pencha vers Findor et demanda, sur le ton de la confidence :
- Alors… qu’est-ce qu’on fait ?
- Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ? répliqua le brigand, confus.
- Eh bien… la situation est un peu compliquée, maintenant, tu ne crois pas ?
- Je ne te suis pas.
- Est-ce que tu veux de l’aide pour révéler tes sentiments à…
- Ce n’est pas drôle du tout ! hurla Findor, et Meven se contenta de ricaner.
- Plus sérieusement, reprit-il. Je ne suis pas particulièrement pour le massacre des mercenaires, même s’ils sont agaçants comme ton petit ami et toi, surtout que malgré votre mauvaise volonté, nous avons fini par obtenir les informations nécessaires. Après tout, comme je n’arrête pas de le répéter, ce n’est qu’une question d’argent, pour les mercenaires, et il est un peu stupide de mourir pour la beauté du geste, pour quelqu’un qui n’en a pas grand-chose à faire. Alors je te propose un choix. Tu verras, ça ne se discute même pas. Tu prends ton petit ami, éventuellement, on peut demander à ce qu’il soit rafistolé pour « services rendus », et vous disparaissez dans la nature, qu’on ne vous voie plus. Sinon, je vous laisse entre les mains de Killian. Regarde comme il a l’air heureux de cette idée !
- Heureux ? Il regarde Maes comme c’était un morceau de jambon à trancher.
- Il sera très content de vous tuer à petit feu.
- Et maître Kaiser, il est au courant du marché, lui ? Parce que promettre, c’est bien joli, mais des paroles en l’air…
- Ne t’en fais pas pour ça. Qu’est-ce que tu décides ?
Il ne fallut qu’une seconde à Findor pour regarder Maes qui pleurait toujours sur sa jambe blessée, Killian dont la main se refermait convulsivement sur la garde de son épée, Meven qui attendait.
- Ca me va. Soignez-nous, et laissez-nous disparaître dans la nature.
Sans retirer sa lame de la plaie qu’il avait ouverte dans le visage de Meven, l’agrandissant suivant les mouvements que faisaient l’assassin pour se libérer, Findor demanda poliment :
- Que pouvons-nous faire pour vous, maîtres d’armes ? cherchez vous un renseignement ?
L’homme posa les yeux sur lui, un regard glacial qui voulait clairement dire qu’il ne valait pas plus qu’un insecte, et laissa tomber :
- Nous souhaitons prendre part au combat.
- Nous en sommes très flattés, maître, mais voyez-vous, il s’agit d’une fête privée, et nous n’aimons que moyennement voir des étrangers, même des maîtres d’armes talentueux comme je ne doute pas que vous l’êtes, se mêler de nos affaires. C’est… personnel, voyez-vous ? Je suis sûr que vous comprendrez…
- Visiblement, vous ne comprenez pas. Je ne demande pas la permission de venir « jouer » avec vous. Je vous informe que nous allons prendre part au combat. Ou, plus précisément, étant donné que vous êtes supérieur en nombre et que vous en profitez pour torturer, maltraiter et autres actes du genre, nous allons vous réduire en pièces. Mais c’est peut-être plus poli de vous prévenir avant, n’est-ce pas ?
Findor eut un mouvement vers le maître d’armes, pour le remettre à sa place. Tout se passa très vite. A peine son attention fut-elle distraite, que Meven se libéra d’un mouvement sec, envoyant accidentellement sur Pervenche les deux qui le tenaient, et les trois s’affalèrent par terre en tas, et se jeta sur le brigand, le plaquant au sol. Dans le même temps, les deux nouveaux venus dégainèrent leurs sabres et se jetèrent sur leurs ennemis désignés. La suite fut assez confuse. Pervenche était très occupée à se dépêtrer de ceux qui lui étaient tombés dessus en évitant d’être tuée ou piétinée, Hélios reprit directement son affrontement avec un épéiste et l’un de ses collègues qui l’avait rejoint, Elfi faisait de son mieux pour tirer sur les ennemis sans toucher les alliés. Mais surtout, les deux maîtres d’armes faisaient un véritable massacre, découpant et tranchant dans la masse, une valse de mort qui entraînait leurs adversaires et ne laissait que mort et destruction sur leur passage. Pervenche, Meven, Hélios et Elfi s’étaient mis hors d’atteinte, et les regardaient. Les corps s’abattaient sur leur passage, et ils ne s’arrêtaient pas, continuant de danser entourés par les éclairs de lumière de leurs lames. C’était fascinant.
Très vite, il ne resta plus que Findor et Maes, qui tentaient de résister, malgré la difficulté. La jeune fille à l’épée s’était arrêtée une fois que les hommes de main avaient mordu la poussière, mais l’autre maître d’armes avait l’air bien décidé à les hacher en menus morceaux. Alors qu’il allait passer à l’attaque, une attaque qui promettait d’être fatale, Meven cria :
- Attends ! Il faut qu’on les garde en vie, pour savoir qui les envoie !
Aucune réponse, on aurait dit qu’il ne l’avait même pas entendu. La lame de son sabre s’abattit pour porter le coup fatal, mais, au même moment, sa compagne assena au maître d’armes un coup de la poignée de son arme à l’arrière de la tête. Il se retourna vers elle, furieux, mais elle se lança dans une argumentation à voix basse qu’ils ne saisirent pas, mais qui eut le mérite de faire diminuer la folie meurtrière de ce décidément très étrange sabreur. Meven en profita pour aller attacher leurs nouveaux prisonniers. Les trois autres approchèrent du petit groupe, intrigués. Ce n’était pas tous les jours qu’on était secourus par d’étranges épéistes sortis de nulle part. Dont un était occupé à lécher le sang sur sa lame, avec une expression extatique qui faisait froid dans le dos. Pervenche prit soin de faire un grand détour en rejoignant Meven, pour éviter de passer trop près. L’assassin était très occupé à raconter à Findor comment il était tenté de lui taillader les joues comme il l’avait fait, ou plutôt de le faire à Maes et de l’obliger à regarder, puisqu’ils avaient l’air d’être si proches. Elle l’interrompit d’une bourrade qui faillit l’envoyer à terre une fois de plus, et tous les deux, ils se tournèrent vers leurs deux étranges sauveurs qui étaient toujours en train de discuter. Elfi et Hélios les rejoignirent une fois les blessures du cavalier arrangées. Ils restèrent tous les trois derrière l’assassin, le forçant bien malgré lui à prendre le rôle du porte-parole. Il regarda d’abord le maître d’armes buveur de sang, puis sa compagne. Son visage s’éclaira et il s’exclama :
- Gillan ? C’est toi ? Sérieusement, c’est toi ?
Elle eut l’air embarrassée, surtout quand tout le monde se tourna vers elle, avec des expressions allant de la curiosité vaguement marquée à la surprise complète. Elle répondit :
- S-Salut, Meven… Ca fait longtemps…
- Longtemps, en effet !
Meven traversa le groupe pour aller poser le bras sur les épaules de ladite Gillan, qui tourna complètement écarlate. Mais contrairement à Hélios, elle ne fit aucun geste pour le repousser. Il lui demanda :
- Et si tu faisais les présentations, dis-moi ?
- T-Tu es le seul ici à c-connaître à peu près tout le monde. P-Pourquoi tu ne le fais pas ?
- P-Parce que c’est plus drôle !
Ils avaient l’air partis pour se disputer, Gillan avait l’air agacée, mais Pervenche décida d’intervenir. Elle se présenta, imitée par Elfi et Hélios. Meven tenta bien de reprendre son couplet sur l’assassin le plus séduisant, mais un coup de coude de la part de son accoudoir l’en dissuada, lui gagnant un sourire de la part du cavalier. Ils se tournèrent avec un bel ensemble vers le seul qui n’avait pas encore parlé, et qui était fort occupé à nettoyer son épée de toutes les traces de sang qui l’ornaient. Ce n’est que quand il fut satisfait du résultat qu’il daigna donner son nom aux autres :
- Killian.
Et rien que son nom. Mais ça suffisait. Tout le monde avait entendu parler du fameux maître d’armes Killian, celui dont la lame filait plus vite que le vent, et qui avait un jour battu une armée entière à lui tout seul. On disait de lui qu’il était un tueur parfait, qu’il avait été tué par un homme qui faisait au moins deux fois sa taille avec une hache de la taille d’une tour, que son talent à l’épée n’avait d’égal que sa vitesse, sa grâce et sa cruauté, qu’il était capable de broyer un dragon à mains nues, et que dans ses veines ne coulait pas du sang, mais du métal aussi froid, aussi dur, aussi implacable que lui. Des dizaines d’histoires couraient sur lui, des légendes insensées dans lesquelles il avait déjà dévasté des continents entiers. Dans certaines villes, les mères se servaient de lui pour impressionner leurs enfants. La lame de son sabre était de métal rouge, et on disait qu’elle était teintée par le sang des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui étaient tombés sous ses coups. Killian la Lame Rouge, Killian Sans Cœur, Killian qui valsait avec la Mort, et c’était lui qui menait la danse. Ils étaient en présence d’un tueur de légende. Elfi le salua, Hélios le considéra avec un respect nouveau, Pervenche le fixa avec de grands yeux pleins d’étoiles, et Meven fit semblant de s’évanouir, gagnant un regard noir de plus.
Il fut rapidement décidé que le plus urgent était d’amener Elfi à bon port, de soigner leurs blessures et de récupérer leur récompense. Ensuite, ils pourraient interroger Findor et Maes, et discuter ce qu’ils allaient faire. Killian et Gillan, qui avaient plus ou moins comme objectif la même direction, acceptèrent de faire le trajet avec eux, même si elle n’avait pas l’air particulièrement enthousiaste de faire un bout de route avec Meven. Le lancier, lui, était bien content de ne plus avoir l’assassin sur le dos, au moins pendant un moment.
Les chevaux furent dévolus à Elfi, en raison de son statut de personne à protéger, Hélios, qui avait souffert du combat, et Pervenche, qui était également secouée. Meven promit de marcher à côté de son cheval pour lui éviter de tomber. Gillan et Killian étaient encore tout à fait frais, malgré la marche qu’ils avaient effectués et le combat livré, et il fut décidé qu’ils se chargeraient des prisonniers. En fait, ils avaient tellement peur de Killian qu’ils parcourraient probablement la distance qui les séparait de Gawain en courant pour lui échapper. Le petit cortège se mit en marche au pas, vers le nord-est et la ville qui était leur but.
Quand enfin ils arrivèrent à Gawain, la nuit était tombée depuis longtemps. Le chemin avait pris plus de temps que prévu, étant donné que la moitié de leur petite troupe était à pied, malgré le fait que Killian menaçait les prisonniers à intervalles réguliers pour les faire avancer plus vite. Meven avait passé la moitié de son temps à supplier Hélios de le laisser monter avec lui sur le cheval, arguant qu’il était « trooop fatigué », et l’autre moitié à poser des questions stupides et déplacées à Gillan pour la faire rougir et bégayer. Encore une fois, Killian était obligé de le faire rester dans le droit chemin, sans économiser les coups de pieds aux fesses, jusqu’à ce qu’il arrête en grognant que ce n’était pas la peine d’être aussi brutal, quand même. Pendant tout le trajet, Pervenche s’était montrée incroyablement silencieuse, et Hélios avait bien pensé lui demander pourquoi, ce n’était pas vraiment habituel, mais il s’était dit qu’après tout, ce n’était pas ses affaires, et qu’il ferait mieux de tenter de forcer Meven à lâcher sa botte, mais l’assassin geignait continuellement qu’il devait prendre appui parce que toutes ses forces avaient été consumées par son combat de titan, ce qui fit rire Gillan.
On ne leur fit heureusement pas de difficultés pour entrer en ville, malgré leur apparence plus que suspecte, avec toutes leurs taches de sang, leurs blessures, et leurs deux prisonniers attachés. Il leur suffit d’annoncer qu’ils étaient attendus de toute urgence à la maison Kaiser et qu’Elfi révèle son identité, pour qu’ils se retrouvent escortés par quatre gardes. Ils traversèrent ainsi une partie de la ville, sous bonne escorte, sous les yeux de tous ceux qui ouvraient leurs volets pour voir ce que pouvait être cet étrange cortège qui passait à cette heure.
Ils arrivèrent devant une maison qui, si c’était possible, était encore plus grande et impressionnante que la maison Dal Vecchio. On annonça Dame Elfi et sa suite, on les véhicula à nouveau dans des couloirs à boiseries et vitrines d’exposition pour des objets chers, et on les propulsa, tous les huit, jeune fille de bonne famille, mercenaires, maîtres d’armes et prisonniers, dans un bureau où visiblement, le maître de maison avait été réveillé en sursaut et les attendait, debout devant la fenêtre et drapé dans un manteau d’intérieur. En les voyant entrer et manquer de s’effondrer les uns sur les autres, il tonna :
- Enfin ! Nous vous attendions beaucoup plus tôt, nous étions inquiets ! Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui vous a retardés ainsi ?
Elfi s’avança, effectua une révérence parfaite d’autant plus impressionnante qu’elle était épuisée et réussissait à faire oublier sa tenue plus que débraillée, et répondit :
- Vous nous voyez bien désolés, monsieur, d’avoir été la cause de votre inquiétude. Nous serions arrivés plus tôt, comme cela était prévu, mais nous avons été attaqués en chemin, par une troupe supérieure en nombre. Nous avons capturé ces deux individus, les autres ont été tués avec l’aide de ces deux personnes, qui se sont portés à notre secours. Dès que ça nous a été possible, nous avons repris la route.
- Je vois. En tous cas, je suis bien satisfait de vous voir arriver saine et sauve. Enfin… Dans la mesure du possible, bien sûr. J’ai fait prévenir mon fils, il devrait arriver. Quant à votre escorte, je vous propose de l’héberger ici ce soir, et nous verrons demain pour votre récompense, et ce qu’il convient de faire avec vos prisonniers. Il est trop tard pour s’occuper de ce genre de choses. Je suppose que nous sommes tous bien fatigués, que vous souhaitez dîner, vous reposer et soigner vos blessures. Je vais donner des ordres dans ce sens.
Elfi salua une nouvelle fois, et maître Kaiser sonna ses domestiques. C’est alors qu’entra, non pas un majordome et une femme de chambre, mais Frederick Kaiser lui-même. Il était bien comme Elfi l’avait décrit, séduisant, avec des cheveux noirs qui ondulaient sur ses épaules, des yeux sombres au regard perçant, des traits acérés et volontaires. Elle avait juste oublié de préciser qu’il frôlait les deux mètres et devait se baisser en passant la porte. En le voyant, la jeune fille de bonne famille leva les bras au ciel et, laissant tomber pêle-mêle toute distinction et tenue correcte, courut se jeter à son cou. Frederick l’attrapa au vol et l’embrassa, sans se soucier le moins du monde d’avoir des spectateurs. Maître Kaiser se contenta de hausser les épaules, l’air de dire « ah, les jeunes… », et à vrai dire, dans le cas des spectateurs en question, ça ne les dérangeait pas, ça réchauffait même le cœur.
Deux hommes armés vinrent emmener Findor et Maes là où on pourrait les détenir pendant la nuit, et une poignée de serviteurs vinrent s’occuper des invités. Frederick refusa absolument de lâcher Elfi, et son père finit par leur donner l’autorisation de s’éclipser ensemble, ne serait-ce que pour avoir la paix. Hélios, Meven et Killian partagèrent la même chambre, pour la plus grande détresse du cavalier qui prévint l’assassin que s’il n’adoptait pas une conduite exemplaire, il le tuerait dans son sommeil. Le maître d’armes régla la question en annonçant que si l’un des deux avait l’audace de le réveiller par une dispute ou quoi que ce soit, il le ferait passer de vie à trépas de manière douloureuse, ce qui régla le conflit de manière extrêmement rapide. Pervenche et Gillan se retrouvèrent ensemble, et elles n’échangèrent que quelques mots avant de plonger dans un sommeil juste et réparateur.
Malgré tous les efforts des gardes de la famille Kaiser, du maître de maison lui-même, de son fils et de Meven et Killian, ni Findor, ni Maes n’avaient décoché un seul mot. Ils s’obstinaient à garder pour eux l’identité de la personne qui les avait envoyés enlever Elfi. Bien sûr, il n’avait pas été possible d’utiliser des techniques d’interrogatoire, comme l’un des gardes s’obstinait à les appeler, maître Kaiser s’y opposait, arguant qu’ils n’étaient pas des monstres, et qu’il y avait toujours moyen de négocier et de convaincre. Mais jusqu’ici, les menaces et la corruption n’avaient pas donné grand-chose, les deux brigands n’avaient rien dit du tout. Et le plus brutal qu’ils avaient osé utiliser était quelques gifles, ce qui, d’après Meven, était bien insuffisant pour délier la langue de deux brigands et mercenaires bien entraînés. Il n’y avait qu’à voir la cicatrice qui traversait le visage de Findor, d’une pommette à l’autre, qu’ils avaient fini par découvrir en lui ôtant son casque, pour deviner que ces deux-là n’étaient pas des tendres, loin de là. Le fait de perdre son couvre-chef avait eu l’air de lui en mettre un coup, mais il était resté muet néanmoins. Meven finit par en avoir assez, et pria le maître des lieux et ses hommes de quitter la pièce. Killian resta, curieux de ce qui allait pouvoir se passer.
Une fois assuré d’être seul avec les deux prisonniers ficelés sur leurs chaises et le maître d’armes adossé à l’un des murs, loin des yeux inquisiteurs et de ceux qui auraient pu le dénoncer, Il s’avança vers Findor et s’assit sur ses genoux, le faisant sursauter. Il passa le bras autour de ses épaules, croisa les jambes, dans une pose presque séductrice, et demanda :
- Alors, est-ce que tu vas me dire qui vous envoie ?
- Toujours pas, non.
- Tu en es vraiment sûr ? Tu me fais bien du chagrin, tu sais.
- Détache-moi et je te ferai un gros câlin, pour te consoler.
- C’est que, vois-tu, ça ne m’arrange pas, et mon ami ici non plus, dit l’assassin en désignant Killian, qui n’avait pas bougé. On aimerait bien savoir, histoire de pouvoir protéger Elfi. Elle est gentille, Elfi, non ? Elle ne mérite pas vraiment qu’on lui fasse du mal.
- Et ça te préoccupe ? C’est la première fois que j’entends parler d’un assassin avec un cœur, s’exclama Findor, faussement émerveillé. Fais attention, quelqu’un pourrait te le percer d’un coup de couteau ! Pour un peu, tu pourrais devenir une cible, toi aussi.
- Ce n’est pas gentil de piétiner mes sentiments, tu sais, le réprimanda Meven. Après tout, je ne suis qu’un homme, et il m’arrive, de temps en temps, très rarement, d’éprouver certains frémissements pour les gens qui m’entourent.
- Comme une envie de tuer ?
- De tuer, oui, mais de tuer ceux qui leur veulent du mal. Alors, est-ce que tu vas me dire ce que je veux savoir pour pouvoir protéger la pauvre Elfi ?
- Je crains que non. Il existe des assassins avec un cœur, et des mercenaires avec des principes. C’est étrange qu’on se rencontre ici, n’est-ce pas ?
- Ca ne m’arrange pas. Je vais devoir changer de tactique, tu ne crois pas ?
Maes voulut intervenir, mais un coup de pied de Killian dans sa chaise manqua le faire tomber et le réduisit au silence. Findor se contenta de lever un sourcil ironique. Sans bouger de son perchoir, Meven sortit l’un de ses couteaux avec un sourire mauvais. C’était une arme impressionnante, à la lame dentelée sur l’un des tranchants, longue comme son avant-bras. Un couteau de tueur. Il contempla un instant les reflets de la lumière des torches sur son arme, s’amusant à les renvoyer dans les yeux de sa victime.
- On me prend souvent pour un inoffensif, tu sais, parce que j’agis un peu comme un idiot. C’est pratique d’être pris pour un bon à rien un peu bêta, parce que personne ne se doute que j’ai aussi un côté méchant. Le genre qui aime bien torturer les gens, et qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut. Tu vois le genre ?
Encore une fois, le lever de sourcil interrogateur. Mais il y avait une petite étincelle dans les yeux de Findor, une petite étincelle qui n’était pas là avant et qui aurait pu être de l’amusement, mais Meven l’avait déjà vue plus d’une fois, et il savait reconnaître la panique soigneusement maîtrisée. Il continua donc :
- Tu vois… Je sais que tu ne veux pas me dire ce que je veux. Je comprends, tu sais. On t’a payé pour enlever Elfi, mais aussi pour garder le secret, et mourir avec si jamais tu étais pris. Tu es comme tous les autres, tu t’imagines que ça n’arrivera jamais, que tu es bien trop fort. Malheureusement, tu es tombé sur meilleur que toi. Moi, en l’occurrence.
Killian se racla bruyamment la gorge, et Meven lui lança un coup d’oeil exaspéré, avant de revenir à sa proie.
- Bon d’accord. Nous, en l’occurrence. Et maintenant, tu vas devoir mourir pour garder le secret. Ce n’est pas de chance, hein ? Tu n’as plus beaucoup d’options. Soit tu nous dis ce que tu sais tout de suite. Soit je te torture jusqu’à ce que tu me donnes la réponse. Soit je te tue et je continue avec ton copain, là.
L’étincelle de peur, plus marquée, cette fois. La peur de mourir ? Ou autre chose ? Il décida de pousser dans cette direction.
- Tu ne veux pas mourir, n’est-ce pas ? Surtout pour une poignée de pièces. Il serait beaucoup plus facile de me dire ce que tu sais. Je ne te tuerai pas, je ne suis pas un monstre, et je n’aime pas tuer pour le plaisir. Si seulement tu me disais ce que je voulais savoir, tu serais libre de partir, vous le seriez tous les deux.
- Bien sûr. Et ceux qui nous ont envoyé ne sauraient pas du tout qui vous a mis sur leur piste. C’est ça ?
On progressait. Mais pas encore assez. Il n’était pas encore assez terrorisé.
- Alors ? Tu vas me le dire ?
- C’est dommage, n’est-ce pas, que tu sois tombé sur quelqu’un qui a un minimum de principes, et de loyauté envers son employeur ? Contrairement à un raté dans ton genre, je ne trahis pas qui me fait confiance dès qu’un imbécile m’agite un couteau sous le nez en déblatérant des menaces usées jusqu’à la trame. Tu ne me fais pas peur, tu sais. Vas-y, fais-toi plaisir, je ne pense pas que tu pourras me faire craquer. Mais tu peux toujours essayer, si ça t’amuse.
- Eh bien, j’ai cru comprendre que découper le visage des gens était plutôt amusant. Tu ne m’en voudras pas d’essayer ?
Findor haussa les épaules, l’image même du détachement. Meven fut prompt à lui donner les deux mêmes entailles qu’il avait lui-même récolté lors de la bataille, en travers de la joue et sous l’œil, parallèles à la cicatrice qu’il avait déjà. Il les agrémenta de quelques blessures identiques, sur le front et les joues. Sans grand résultat, le brigand cilla à peine. Vexé par son manque de coopération, Meven se releva et rangea son couteau.
- Je te l’avais dit, non ? Tu n’es pas le premier à tenter ça, ça se voit, lança le brigand en désignant l’ancienne blessure traversant son visage. Vas-y, continue, tu peux t’amuser. Il paraît que ça détend. Tu veux des conseils, sinon ?
- Ne t’en fais pas, je m’y connais, répondit l’assassin. Mais visiblement, j’ai affaire à un dur, un vrai. Il faudrait que je taille dans la masse, ou que j’enlève quelques morceaux. Ca ferait désordre. Et puis je ne suis pas un cruel, moi.
Sourire soulagé de Findor, peut-être un peu vainqueur. Qui ne désarma pas Meven, bien au contraire. Il revint prendre sa place sur les genoux de l’autre, croisant les bras et s’appuyant sur sa poitrine.
- Bien, je suppose qu’on n’ira nulle part comme ça. Je n’ai pas envie de te massacrer, et tu n’as pas vraiment envie de parler. Mais, tu vois, tu n’es pas tout seul, poursuivit-il, regardant l’expression de Findor diminuer d’un degré. En fait, aucun de nous deux n’est seul, c’est beau ! Tu vois, mon ami, là ? Il a l’air gentil, hein ? Eh bien il n’est pas gentil du tout. Au contraire, il est cruel, et il n’a aucun souci, contrairement à moi, à faire du mal aux gens. Mais tu es un dur, tu n’as pas peur du méchant maître d’armes, n’est-ce pas ? C’est pour ça que je me pose la question. Est-ce que ton ami, là, est aussi fort et résistant que toi ? Parce qu’on s’est concentrés sur toi, mais vous êtes deux, n’est-ce pas ? Deux à connaître les informations qui nous intéressent. Alors voyons si Killian et Maes ont des choses intéressantes à se dire.
Ils se tournèrent tous les deux vers Killian, qui laissa tomber son côté impassible pour afficher un sourire prédateur absolument terrifiant. Il dégaina son sabre, et l’abattit sur le brigand ligoté. La lame ouvrit une profonde entaille dans sa jambe. Maes hurla, et Findor aussi. Le maître d’armes lécha le sang sur la lame, savourant le goût avec un air de connaisseur. Meven s’était reculé, et regardait la scène, assez intéressé. Il aurait juré voir l’autre brigand ciller. Un second coup, une seconde blessure, et cette fois-ci, il était sûr de l’entendre grincer des dents. Une troisième fois, la lame s’abattit, mais cette fois-ci, Findor, au cri de « Assez ! », l’arrêta à quelques centimètres de sa cible. Au lieu de compléter son geste, Killian posa la pointe du sabre sur la jambe du brigand, prêt à la transpercer, et se tourna vers Meven. Celui-ci lança :
- Alors ? Décidé à te montrer un peu plus bavard ? Ou je laisse monsieur le sabreur découper quelques tranches de ton ami ?
- Vous êtes une espèce tout à fait particulière de salauds, vous ne trouvez pas ?
- Allons, ce n’est pas comme si vous aviez des scrupules, tous les deux, non ? Tu l’as dit toi-même, plus tôt, les mercenaires, on peut les payer pour obtenir leur loyauté. Ce n’est même pas quelque chose de très valable, puisqu’il suffit d’une poignée de pièces. Alors, pourquoi est-ce que ça devrait te faire quelque chose qu’on tente d’obtenir l’information de ton camarade ? Tu as peur que ça te retombe dessus ?
Findor ne répondit pas, et il ne regardait même pas Meven, mais Killian. Celui-ci lui adressa une nouvelle fois son sourire charmeur et terrifiant, et appuya sur la garde de son sabre. La pointe s’enfonça dans la jambe de Maes, lui arrachant un nouveau hurlement et faisant couler un épais filet de sang. Findor grinça des dents, mais persista à garder le silence. Meven soupira :
- C’est bien ce que je pensais. Il ne parlera pas si on torture son ami. Il n’y a plus qu’à espérer que lui décide de parler avant que tu ne le tues… Essaye d’éviter de couper trop profond. En plus, Kaiser risque de ne pas être très content de voir son cachot décoré de gerbes de sang… Enfin, fais de ton mieux…
- Ca suffit.
Killian et Meven se tournèrent vers Findor, qui soupira.
- Retirez votre épée et arrêtez de le découper ainsi. Je vais parler.
- Parle d’abord, mon petit, on verra en cours de route s’il faut te motiver.
Findor grimaça, mais une nouvelle pression sur l’épée eut vite fait de le convaincre.
- Nous avons été payés par la famille Shalhm. Une autre famille de Gawain. Ils voient d’un mauvais œil les bénéfices que les Kaiser pourraient récolter de cette alliance, et ils voulaient leur part du gâteau. Ils voulaient nous faire kidnapper Dame Elfi, certainement pour faire pression, ou pour demander une rançon, je ne sais pas trop. C’est tout.
- Et comment savaient-ils que nous allions passer par là et quand ? insista Meven.
- Ils ne le savaient pas. Ils nous ont simplement dit que c’était le moment et l’endroit le plus probables. Nous avons attendu. La suite, vous la connaissez.
- Eh bien tu vois, ce n’était pas si difficile. C’est vraiment dommage qu’il ait fallu en passer par là pour obtenir quelques petites informations. J’avoue que je ne m’attendais pas à ça de ta part. Tu serais donc un tendre ?
- J’ai un minimum de morale, répliqua Findor. Qui conduit par exemple à ne pas laisser les plus faibles souffrir, pour une information qui finalement n’en vaut pas tant.
- Ne pas laisser les plus faibles souffrir… Tu aurais donc de la morale, Findor ? Tu défends les faibles et les mal-aimés ?
Le brigand ne daigna pas répondre, mais Meven tenait quelque chose, et pour tous les efforts endurés, il n’allait pas se priver d’appuyer dessus encore un peu.
- Je vois ce que c’est… Ce n’est pas de la morale ou de la générosité. C’est une forme de loyauté bien particulière, n’est-ce pas ? La loyauté qu’il y a entre deux compagnons de route de longue date ? Ou peut-être… plus que des compagnons de route ? Tu lui as déjà dit ? Déjà parlé de ce que tu ressens ?
Le brigand répondit par une série de jurons très colorés qui firent rire Killian sous cape. Le maître d’armes avait fini par retirer son arme de la plaie, et la nettoyait avec soin en lorgnant les flaques de sang. Maes était rouge vif, et d’où il était, Meven aurait juré voir des larmes rouler sur ses joues. Findor restait plus stoïque, mais son regard promettait mille morts à l’assassin si jamais il réussissait à mettre la main sur lui. Ce qui n’avait pas l’air de le perturber, pas du tout, parce qu’il continuait de délirer à propos de Findor, de Maes et de la relation qui les unissait.
- Je sais ce que c’est… On s’ennuie, on se sent seul, on en a assez de travailler en solitaire, et on cherche quelqu’un avec qui partager la solitude des grands espaces… Quelqu’un pour garder ses arrières. Et puis voilà qu’arrive l’autre, la personne qui complète parfaitement l’équipe, l’individu avec qui on va pouvoir faire un bout de chemin… Et encore, tu as de la chance, tu es tombé sur un mercenaire plutôt pas mal, et il a l’air doué… Regarde ce que je me trimballe, moi : une mercenaire dingue, un cavalier qui joue les intouchables, et peut-être bientôt deux maîtres d’armes !
- Qui te dit qu’on veut te rejoindre ? interrompit Killian.
- On en discutera plus tard, c’est promis. Occupe-toi de ton épée.
Le maître d’armes se redressa, le regard plus noir que jamais, mais l’assassin ne faisait déjà plus attention à lui. Il se pencha vers Findor et demanda, sur le ton de la confidence :
- Alors… qu’est-ce qu’on fait ?
- Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ? répliqua le brigand, confus.
- Eh bien… la situation est un peu compliquée, maintenant, tu ne crois pas ?
- Je ne te suis pas.
- Est-ce que tu veux de l’aide pour révéler tes sentiments à…
- Ce n’est pas drôle du tout ! hurla Findor, et Meven se contenta de ricaner.
- Plus sérieusement, reprit-il. Je ne suis pas particulièrement pour le massacre des mercenaires, même s’ils sont agaçants comme ton petit ami et toi, surtout que malgré votre mauvaise volonté, nous avons fini par obtenir les informations nécessaires. Après tout, comme je n’arrête pas de le répéter, ce n’est qu’une question d’argent, pour les mercenaires, et il est un peu stupide de mourir pour la beauté du geste, pour quelqu’un qui n’en a pas grand-chose à faire. Alors je te propose un choix. Tu verras, ça ne se discute même pas. Tu prends ton petit ami, éventuellement, on peut demander à ce qu’il soit rafistolé pour « services rendus », et vous disparaissez dans la nature, qu’on ne vous voie plus. Sinon, je vous laisse entre les mains de Killian. Regarde comme il a l’air heureux de cette idée !
- Heureux ? Il regarde Maes comme c’était un morceau de jambon à trancher.
- Il sera très content de vous tuer à petit feu.
- Et maître Kaiser, il est au courant du marché, lui ? Parce que promettre, c’est bien joli, mais des paroles en l’air…
- Ne t’en fais pas pour ça. Qu’est-ce que tu décides ?
Il ne fallut qu’une seconde à Findor pour regarder Maes qui pleurait toujours sur sa jambe blessée, Killian dont la main se refermait convulsivement sur la garde de son épée, Meven qui attendait.
- Ca me va. Soignez-nous, et laissez-nous disparaître dans la nature.