Interlude
C'est à l'aube que les deux guerriers se retrouvèrent, là où ils avaient décidé de s'affronter. Comme il convenait, un vent froid balayait le champ de bataille qu'ils avaient choisi, soulevant de petits nuages de poussière. Il faisait froid, mais ça n'avait pas l'air de les déranger. Ce n'était pas le genre de choses qui pouvait les distraire de leur objectif.
Gillan se plaça d'un côté de l'endroit qu'ils avaient choisi pour leur affrontement. C'était elle qui avait demandé à ce que finalement, elle et son maître se battent. Elle estimait être suffisamment forte, maintenant, pour ne plus avoir besoin de son enseignement. Il était temps qu'elle s'en libère. La dette de Killian serait payée, et ils pourraient partir chacun de leur côté. Mais pour ça, il faudrait qu'ils se battent. Elle espérait juste qu'ils s'arrêteraient avant que quelqu'un ne soit tué. Elle essuya ses mains sur sa tunique, elles étaient moites. Elle avait peur, mais au moins, elle en était consciente. Elle saurait faire avec, son épée ne tremblerait pas. C'était juste dommage que son adversaire s'en rendrait compte aussi, c'était le genre de choses qu'il ne manquerait pas. Mais enfin, elle n'allait pas reculer. Elle vérifia que le bandeau retenant ses cheveux était bien serré et ne glisserait pas sur ses yeux au mauvais moment. Bon, elle était aussi prête qu'elle pouvait l'être. Elle prit son sabre et se mit en garde.
De l'autre côté, Killian toisait son élève. Du moins, elle l'était encore pour quelques temps. Ensuite, elle serait sûrement morte. Il n'allait pas retenir ses coups sous prétexte qu'elle avait été son élève, qu'elle et sa sœur s'entendaient bien, ou quelques autres bêtises sentimentales du genre. Au contraire, il allait l'attaquer de toutes ses forces. Après tout, elle estimait être assez forte maintenant pour ne plus avoir besoin de lui, elle se pensait même assez forte pour réussir à tenir un combat contre lui. Le battre, n'en parlons pas. Il n'allait pas se faire battre par une gamine. Il allait juste lui montrer que l'orgueil ne faisait pas tout, et que ce n'était pas parce qu'elle savait un peu agiter une épée qu'elle était de taille à lui tenir tête. Ce que ça voudrait dire sur ses méthodes d'enseignement, il s'en fichait, il ne comptait pas continuer de toute façon. Il allait éliminer cette gamine, et il reprendrait son chemin, sans idiots de mercenaires à ses basques. Il espérait tout de même qu'elle lui procurerait un beau combat. Il tira lui aussi son arme, avec un pincement de regret pour sa fidèle lame, et se mit lui aussi en garde.
Pendant un long moment, ils s'affrontèrent du regard, chacun tentant de lire la détermination de l'autre. Le vent agitait leurs vêtements et leurs cheveux, et Gillan se demanda comment Killian faisait pour que par miracle, il n'ait pas les cheveux dans le visage. Puis elle chassa l'idée de sa tête et se concentra. L'avantage qu'elle avait sur les autres adversaires qui étaient déjà tombés sous la lame du maître d'armes, c'était que même s'il ne lui avait pas révélé tous ses secrets, elle avait quand même une idée plutôt convenable de son style de combat, et elle pouvait se préparer à certaines choses. Elle savait qu'il avait l'habitude de porter la première attaque à une vitesse incroyable, et de frapper en diagonale du bas vers le haut, une méthode qui portait ses preuves. Soit elle le laissait faire et elle bloquait, avec le risque de finir éventrée, soit elle prenait l'initiative. Elle n'était pas assez rapide pour faire pareil, certes, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était sans ressources.
Il se jeta sur elle comme elle s'y attendait, et il était au moins aussi rapide qu'elle se rappelait, mais elle était prête. Le coup partit non pas vers le haut comme elle s'y attendait, mais d'estoc. Il la transpercerait de part en part, si elle ne réagissait pas. Plutôt que de détourner son arme et de se faire percuter dans la manœuvre, elle s'écarta de sa trajectoire à la dernière seconde, et avant qu'il puisse la corriger, elle lui attrapa le bras, pivota sur elle-même et le projeta par-dessus son épaule. Le mouvement était parfaitement exécuté, mais le maître d’armes retomba sur ses pieds sans avoir l’air vraiment gêné. Il avait tout de même l’air un tout petit peu surpris d’avoir été ainsi contré, et c’était déjà une victoire, même si elle était minime.
Ils se remirent en garde, et cette fois-ci, Killian n’attendit pas qu’ils se regardent dans les yeux pendant des heures, il se jeta tout de suite sur elle. Gillan s’écarta à nouveau, une seconde trop tard, et la pointe de l’épée toucha sa joue, y traçant une mince coupure. Le maître d’armes eut un sourire satisfait en voyant le filet de sang qui s’en échappa, et réattaqua. Cette fois-ci, elle l’attendait de pied ferme. Quand il frappa, elle se baissa, évitant le coup de quelques centimètres à peine, et prenant appui de la main sur le sol, lui expédia un coup de pied dans le genou, de toutes ses forces. Cette fois-ci, elle l’envoya au tapis. Il se releva immédiatement et grogna. Il ne l’avait pas formée à se battre comme ça, qu’est-ce que c’était que ces méthodes ? Bon, d’un autre côté, il lui avait bien appris à faire tout ce qui était en son pouvoir pour gagner, mais… Gillan coupa ses pensées d’une attaque rapide qui faillit toucher son bras. Un pas de côté, il imita son attaque, mais il n'y mit pas assez de force, et la pointe de son sabre glissa sur la manche sans réussir à l'entailler. Ils étaient proches, très proches, un spectateur extérieur aurait pu croire qu'il s'agissait d'une rencontre romantique plutôt que d'un affrontement à mort. Gillan attrapa Killian par le col de sa chemise, le tira vers le bas comme si elle voulait l'embrasser, mais leurs crânes se heurtèrent avec un bruit sec. Le maître d'armes en vit trente-six chandelles. Néanmoins, il para l'épée que son élève tentait de lui passer en travers du corps, attrapant son poignet et le tordant. Elle dut tirer pour qu'il la lâche, et ses ongles laissèrent des traces sanguinolentes. Il la suivit quand elle recula, tentant de lui administrer un coup en travers du corps, poussant son avantage. Gillan évitait, mais elle n'avait pas le temps de préparer la moindre attaque, ou elle finirait en deux parties bien séparées sur l'herbe. Jusqu'ici, elle s'en était plutôt bien tirée, mais elle n'allait pas tarder à rencontrer un obstacle, ou la limite du champ, l'un ou l'autre, et Killian en finirait avec elle. Il fallait absolument qu'elle le repousse, mais elle était en difficulté, et elle n'avait pas de carte dans sa manche, pas de magie ni rien. La seule défense qu'elle avait, c'était l'attaque. Au lieu de reculer, elle se jeta à sa rencontre. Killian ne fut pas vraiment surpris, et il écarta la lame avec facilité, ne récoltant qu'une estafilade à l'épaule. Son élan l'entraîna trop loin, la forçant à tourner le dos au maître d'armes pendant une seconde. Seconde que celui-ci mit à profit pour lui infliger une entaille profonde au mollet. Par un effort de volonté, elle réussit à rester debout, mais le coup lui arracha un cri de douleur, et elle s'éloigna en boitillant. Killian la regarda, puis leva l'épée et, d'un mouvement lent, lécha le sang sur la lame. Une fois fini, il remarqua :
- Ton sang n'a pas le goût de celui d'une vraie épéiste. Tout au plus... d'une guerrière. Une guerrière qui manque encore d'expérience. Moi qui espérais qu'il serait électrisant....
S'il s'attendait à une réaction explosive, il fut bien déçu. Gillan se contenta de répondre :
- J-je ne savais p-pas que je vous faisais un t-tel effet. Vous voulez vous b-battre, ou me faire la cour ?
Le maître d'armes grogna, et il repassa à l'attaque. Mais cette fois, Gillan l'attendait de pied ferme. Le coup suivant visait son cœur, elle bloqua l'épée de la sienne. Killian tenta de la pousser, elle tint bon malgré sa jambe blessée. Elle ne pouvait pas à nouveau riposter d'un coup de pied, même si abîmer le genou qu'elle avait déjà attaqué les aurait mis à égalité. Mais elle était bien décidée à ne pas lâcher d'un pouce. Ils s'affrontèrent ainsi pendant quelques secondes, puis comme d'un commun accord, reprirent leurs distances et se remirent en garde.
La blessure que Gillan avait à la jambe l'élançait, et elle savait qu'elle saignait toujours. Ce n'était pas une bonne chose. Si même à son meilleur, elle était à peine de taille à survivre contre le maître d'armes, avec une blessure, elle n'était que de la viande hachée en attente. Si seulement elle pouvait trouver un moyen d'équilibrer les comptes... Elle avait peut-être une idée, c'était juste assez fou pour que ça marche. L'ennui, c'était que si ça ne marchait pas, elle était fichue. Néanmoins, c'était la seule idée qu'elle avait. Elle courut vers le maître d'armes, assez vite pour se donner de l'élan. Elle leva le bras, comme pour porter une attaque maladroite qu'il vit venir de loin, et qui lui arracha un sourire moqueur. A trois mètres, elle abaissa le bras, et lança son épée. Killian ne s'y attendait absolument pas, et il ne la stoppa donc pas. La garde de l'épée le heurta en plein front, assez fort pour l'entailler, et passa derrière lui. Gillan glissa sur l'herbe, évita adroitement l'attaque qu'il lança à l'aveugle, récupéra son arme et se releva. Le maître d'armes lui faisait de nouveau face, mais il avait maintenant une plaie au milieu du front, qui dans le meilleur des cas lui laisserait un bleu magnifique. Ce n'était pas encore ce qu'elle voulait, mais c'était déjà un progrès. Maintenant, il fallait l'affaiblir.
Elle attaqua, encore. Killian l'attendait. Elle frappa à la taille, et il s'apprêtait à parer. Mais, comme Krile lui avait montré, elle détourna la direction du coup au dernier moment, remerciant son entraînement qui lui avait permis de développer les muscles pour ce genre d'attaques. Qui prit le maître d'armes complètement par surprise. Elle lui infligea une jolie blessure au bras, celui qui tenait son épée. Rapide comme l'éclair, il riposta et l'atteignit au côté, mais ça n'avait pas l'air bien grave. Proche de lui comme elle l'était, elle en profita pour lui accorder également un coup de coude au visage qui le surprit encore une fois. Il pivota, prenant appui sur un pied tout en changeant son épée de main, et frappa, de gauche à droite, dans l'intention bien arrêtée de l'éventrer. Elle recula d'un pas, et il poussa son avantage, fendant l'air dans l'autre sens. Un nouveau coup, elle battit encore en retraite, et cette fois-ci, il abattit son arme de haut en bas. Au lieu de reculer encore, et de devoir prendre appui sur sa jambe blessée qui ne tiendrait peut-être pas, elle avança vers lui, pour réduire l'intensité du coup. La base de la lame la heurta à l'épaule, mais la blessure n'était pas aussi grave que prévu. Killian la regarda un instant, étonné de sa manœuvre, puis baissa les yeux. Elle suivit son regard, et se rendit compte qu'elle avait instinctivement pointé son épée sur lui quand elle avait avancé. Et la lame était profondément plantée dans le flanc du maître d'armes, à tel point qu'elle devait tendre son manteau bleu de l'autre côté. Pendant une seconde, deux secondes, même, elle s'en voulut. Et puis elle se rappela que s'il était à sa place, Killian n'aurait pas hésité une seconde, et il aurait visé le cœur. Elle tira donc son arme, n'hésitant pas à s'appuyer du pied pour la retirer. Cette fois-ci, ce fut au tour du maître d'armes de mettre une distance de plusieurs pas entre eux. Il plaqua la main sur la blessure, et eut l'air presque surpris de voir le sang couler sur ses doigts. Et même si le maître d'armes était un crétin misogyne et que c'était de sa faute si elle était là à défendre chèrement sa vie au lieu d'être bien tranquille dans son lit, elle eut un pincement au cœur en le voyant. Il avait l'air... presque humain. C'était juste dommage qu'il faille le faire souffrir pour parvenir à ce résultat.
Ils recommencèrent à se tourner autour. La blessure de Killian le ralentissait. Il savait qu'elle n'était pas mortelle, il en avait déjà supporté des bien plus graves, et il pouvait parfaitement gagner même ainsi. Mais les muscles avaient été sectionnés en profondeur, et il aurait plus de mal à se protéger des attaques venant de la gauche. Gillan ne manquerait pas d'attaquer de ce côté-là, mais ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Si elle pensait l'avoir mis hors d'état de nuire, elle se préparait une belle surprise ! D'ailleurs, elle passa à nouveau à l'attaque. Plus vite que ce qu'il pensait, l'entaille à sa jambe n'avait pas l'air de tellement la gêner. Il faudrait peut-être qu'il taille plus sérieusement, la prochaine fois. Il para l'attaque vers son épaule d'un coup vers le bas, destiné à blesser une nouvelle fois Gillan à la jambe. Elle esquiva d'un drôle de petit saut de côté et frappa à nouveau. Comme avant, elle détourna la direction de son attaque au dernier moment, le forçant à se tordre le bras pour parer, et provoquant un éclair de douleur intense dans sa blessure au flanc. Il la repoussa, continua le mouvement, et la pointe de son épée traça une nouvelle ligne écarlate sur la joue de Gillan, juste au-dessus de la première. Elle para, un peu trop tard, et les deux lames s'entrechoquèrent avec violence. Elle saisit alors son épée à deux mains, et porta un nouveau coup. Les deux armes se heurtèrent encore, et encore. L'épéiste mettait toute sa force dans les coups, des attaques grossières que le maître d'armes n'avait aucun mal à bloquer, et bien trop fortes pour le peu d'effet qu'elles avaient. Killian se demanda à quoi elle jouait, il ne lui avait pas appris à se battre comme ça, il lui avait montré une manière bien plus subtile de faire. Alors à quoi elle jouait ? Est-ce qu'elle essayait de briser son épée ? A ce petit jeu, la sienne allait souffrir tout autant. Bien sûr, il était obligé de parer, ses mouvements étaient violents mais rapides, il manquait de temps pour contre-attaquer. Mais elle ne le touchait pas, ni ne perçait sa défense, on aurait dit que ce n'était même pas son intention. Il comprit quand sa blessure recommença à l'élancer, plus douloureusement qu'avant, et qu'un nouveau filet de sang frais s'en échappa. Elle ne voulait pas tant lui porter un coup, que de rouvrir sa blessure pour l'affaiblir. C'était brutal, mais bien pensé. Et s'il ne reprenait pas bientôt le dessus, il serait obligé, pour la première fois, de s'avouer battu.
Attirés par le bruit des épées qui se heurtaient, plusieurs personnes étaient venues voir ce qui se passait. D'abord quelques personnes, puis, quand la nouvelle se répandit que Killian le Chien de Guerre, le maître d'armes légendaire, était en train de se battre contre celle qui était son élève, et qu'il ne l'avait pas encore réduite en petits morceaux, ils vinrent de plus en plus nombreux pour assister au combat. Krile se déplaça elle aussi. Si on lui avait demandé si elle venait encourager sa nouvelle amie, regarder son frère se faire massacrer, ou l'inverse, elle aurait fraîchement envoyé cette hypothétique personne sur les roses. A vrai dire, elle n'était pas sûre de savoir elle-même ce qu'elle venait chercher là, mais elle avait l'impression qu'il fallait absolument qu'elle y soit. Elle vint donc comme les autres se placer au bord du terrain où les deux guerriers s'affrontaient. Les autres membres du groupe de mercenaires étaient là également, à regarder leurs amis se battre (du moins pour certains, leur amie et son maître), et ils lui firent une place parmi eux pour qu'elle puisse profiter du spectacle et se ronger les ongles en attendant de voir qui allait sortir vainqueur du combat.
Nouvel assaut, nouvelle attaque. Killian frappa, de bas en haut, passant juste sous le bras de Gillan, mais le coup manquait un peu de puissance, et au lieu de la blesser, il coupa nettement la ceinture qui retenait sa chemise fermée. Elle s'en débarrassa d'un geste tout en ripostant, manquant lui couper une mèche de cheveux dans la manœuvre, laissant le vêtement s'ouvrir, dévoilant les bandes de tissu qui maintenaient sa poitrine. Le maître d'armes leva le sourcil, de la voir aussi peu troublée, elle répondit :
- Q-Quoi ? Vous p-pensez que je vais c-couiner et me c-cacher ?
Elle ponctua sa phrase d'un coup de poing qui l'atteignit à la mâchoire, qu'elle doubla d'une attaque sèche, frappant sur la gauche du maître d'armes. Il bloqua l'attaque, tourna sur lui-même, se retrouva derrière son élève. Il lui porta une attaque dans le dos, visant la colonne vertébrale. Elle esquiva de justesse, alignant sa lame dans son dos pour l'arrêter, et se tourna pour lui faire face. Killian frappa d'estoc, visant le visage, plus précisément l’œil. Gillan se pencha en arrière, tendant tout son corps comme un arc, et la lame passa trop haut. Le maître d'armes voulut alors l'abattre sur elle, la couper en deux, mais lâchant son épée et prenant appui sur ses mains, elle lança ses jambes en l'air, les faisant passer au-dessus d'elle. Elle sourit en sentant l'une de ses bottes entrer en contact violent avec la main de Killian, écrasant les doigts contre la poignée de son épée. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle l'entendit grogner de douleur et non pas de colère. Elle retomba sur ses pieds, reprit son épée au passage et se remit en garde.
Jusque là, le combat avait pris peu de temps, et pourtant, ils étaient les deux épuisés. Ils avaient le souffle court, les membres douloureux, et leurs blessures les affaiblissait. Gillan avait beau se forcer à continuer, elle commençait à traîner la jambe. Les deux coupures sur son visage, ce n'était rien. Le reste, ça devrait aller. Killian n'était pas tellement en meilleur état. Il avait une petite plaie au front, et la peau autour bleuissait rapidement, ainsi qu'au niveau de sa mâchoire. Elle avait frappé plutôt fort. Et surtout, il gardait la main plaquée sur la large blessure qui s'ouvrait dans son flanc. Elle ne devait pas avoir traversé d'organe vital, sinon il serait depuis longtemps en train de se vider sur le sol, mais les attaques répétées de Gillan avaient porté leurs fruits, et elle continuait de saigner. Si le combat se prolongeait encore longtemps, il risquait d'y passer. Cette fois-ci, c'était le dernier assaut. Il fallait qu'ils en finissent, vite. Ils se toisèrent, une fois encore. Gillan remarqua le léger changement dans le regard du maître d'armes. Il était légèrement moins froid, un peu plus... humain ? Mais c'était peut-être juste la fièvre du combat qui parlait, elle n'était pas actuellement sûre que Killian avait un cœur. Du moins, pas le genre avec des émotions dedans, juste le genre au travers duquel on pouvait passer une épée. Et elle avait bien l'intention de le faire, si c'était ce qu'il fallait pour qu'elle survive au combat. Néanmoins, elle lui adressa un léger signe de tête. Qu'il l'interprète comme il voulait.
Comme s'ils entendaient un signal, ils se jetèrent l'un vers l'autre. Gillan eut un geste pour frapper comme Killian le faisait, de la taille à l'épaule en une large diagonale. Quand le maître d'armes s'apprêta à bloquer, elle détourna une fois encore la direction de son attaque. Mais elle ne pouvait pas toujours utiliser les mêmes techniques, et le maître d'armes s'y attendait. Sur le trajet de sa lame, elle rencontra un bras. La lame mordit dans le tissu et la chair, le sang gicla, et elle resta fichée dans la chair. Killian en profita pour lui porter un coup de taille, large, avec tout l'espace nécessaire pour donner un maximum de vitesse à la lame. Elle s'enfonça dans la chair de Gillan juste sous les côtes. Il tira sur l'épée, l'arrachant à la plaie. Le sang s'échappa en éventail, tachant l'herbe. Malgré la gravité de la blessure, pourtant, elle ne s'effondra pas. Elle agrippa le bras armé du maître d'armes, pour l'empêcher de s'enfuir. Pas moyen de récupérer son arme, il s'arrangeait pour qu'elle reste coincée et bien coincée. Plutôt que de tenter de la reprendre et intercepter une nouvelle attaque qui la tuerait certainement, elle lâcha la poignée de l'épée. Killian ne s'y attendait certainement pas, c'était impensable pour lui qu'une guerrière accepte d'abandonner son arme. Et il s'attendait encore moins à ce qu'elle lui expédia un magnifique coup de poing en plein sur le nez. Qui se brisa avec un craquement écœurant. La douleur fusa, se répandant dans tout son crâne comme lors de ses pires migraines, et des étoiles envahirent son champ de vision. Bien malgré lui, sa prise sur l'épée toujours fichée dans son bras se relâcha. Mais Gillan n'en profita pas pour la prendre. A la place, elle le frappa à l'estomac, deux fois, très sèchement, mettant tout son poids dans le geste. Cette fois, il recula. Mais elle n'abandonna pas. Elle suivit le mouvement, accompagnant sa retraite, faisant pleuvoir les coups sur le maître d'armes, encore et encore. Il frappait, elle sentait la lame entailler sa peau, ses vêtements, les bandes de tissu autour de sa poitrine, mais elle ne lui laissait pas l'occasion de reprendre ses esprits, et les blessures n'étaient pas si graves. Et si c'était le cas, elle ne le sentait pas, pas avec l'adrénaline qui courait dans ses veines et lui donnait l'impression d'être invincible. Elle n'entendait rien autour d'elle, tout ce qu'elle percevait, c'était les chocs satisfaisants de ses poings contre le visage, le corps du maître d'armes. Depuis le temps qu'elle rêvait de lui donner une bonne leçon, eh bien, c'était ce qu'elle était en train de faire. Et la vengeance était délicieuse.
Elle réussit ainsi à le pousser presque jusqu'à la limite du terrain, martelant son visage avec satisfaction, puis les blessures qu'elle venait de recevoir finirent par se montrer plus fortes qu'elle. Dans le même temps, l'effet motivant de l'adrénaline se dissipa, et elle faillit s'effondrer. En plus, elle n'avait pas pris en compte le fait qu'elle s'était éloignée de l'endroit où son arme était tombée, et qu'elle se retrouvait maintenant face à un maître d'armes ensanglanté, blessé et certainement humilié. Voyant que son assaut furieux avait cessé, celui-ci en profita pour la repousser sèchement. Elle tomba sans aucune grâce sur les fesses et y resta. Elle était trop épuisée pour se relever encore, et plus rien ne pourrait la pousser à se relever. Tant pis, Killian allait la tuer pour avoir été une mauvaise élève, et elle était trop épuisée pour résister. Il avança vers elle, l'épée à la main, et elle ne leva même pas la tête. Mais elle se réjouit intérieurement de voir le sang qui dégouttait de ses doigts. Le maître d'armes se planta devant elle, la toisant un instant. Gillan eut envie de fermer les yeux, mais elle ne le fit pas. Il aurait été capable de faire durer les choses, quoiqu'elle ne voyait pas comment il aurait pu encore plus les faire durer... Il l'observa pendant un moment, jusqu'à ce que ça devienne inconfortable et qu'elle se demande ce qu'il attendait. Il se pencha alors, attrapa l'une des mèches qui s'étaient échappées de sa tresse, et la trancha d'un coup d'épée. Puis il se laissa tomber à côté d'elle avec la grâce d'un sac de sable et resta étalé par terre. Elle lui jeta un coup d'oeil surpris. En fait, elle était plus que surprise. Jamais, depuis tout le temps qu'elle le connaissait, Killian ne s'était laissé allé à se coucher par terre, si on oubliait la fois où elle l'avait trouvé. Ce n'était pas digne d'un maître d'armes. Et pourtant, il était vautré par terre, et son épée n'était même plus dans sa main. La curiosité eut raison de son épuisement, et puisqu'il n'allait pas la tailler en morceaux, elle se laissa même aller à le pousser du bout du pied. Au lieu d'une insulte et d'une punition exemplaire, elle ne récolta qu'un grognement. Elle le poussa encore, jusqu'à ce qu'il lui jette un regard noir, et leva un sourcil en une interrogation muette. Il finit par expliquer :
- Tu es encore loin de mon niveau, et tu ne l'atteindras sans doute jamais. Devenir un maître d'armes de ma trempe demande de la concentration, du travail, et une volonté que tu n'as pas. Mais, continua-t-il après une longue pause, tu es devenue une guerrière. Une véritable épéiste. Ton style est... brutal, et manque de raffinement, mais il est efficace. C'était un combat intéressant.
Gillan mit un moment à digérer ce qu'il venait de lui dire. En Killian dans le texte, c'était le plus grand compliment qu'elle l'ait jamais entendu dire. Elle murmura :
- Merci, m-maître.
- Ne me remercie pas, coupa-t-il. Je ne te flatte pas, je me contente de dire les choses. Et ne m'appelle pas maître. Je ne suis plus ton maître. Gillan resta silencieuse un moment, regarda les gens qui venaient vers eux, probablement parce qu'ils devaient tous les deux former un tableau assez pitoyable. Alors elle avait survécu, et il ne la tuerait pas ? Tant mieux. Et encore mieux, il reconnaissait sa valeur. Elle en avait rêvé, il fallait bien l'avouer. Ce n'était pas tous les jours que le grand maître d'armes Killian reconnaissait la valeur du moindre de ses adversaires. Peut-être pas en tant que son égal, mais tout de même, c'était déjà bien plus que ce qu'elle pouvait espérer. Au moment où Sigrid allait les rejoindre en pestant contre les maîtres d'armes et les épéistes qui n'avaient rien de mieux à faire que de se blesser exprès, elle demanda, presque taquine :
- Est-ce q-que ça veut dire q-que vous allez vous c-couper les cheveux ?
Le regard noir qu'elle reçut en réponse lui rappela qu'elle l'avait peut-être mis en mauvais état, mais qu'il restait un maître d'armes sans cœur et redouté à travers tout le continent. Pourtant, il se contenta de répondre :
- Je n'ai pas perdu, je n'ai pas à le faire. Ceci dit, je ne te le demanderai pas non plus. C'est un match nul.
Elle n'allait pas discuter, de toute façon, il ne lui restait plus assez d'énergie pour ça. Elle était vivante, c'était tout ce qui comptait. Elle se laissa tomber en arrière, se couchant sur l'herbe, et regarda le ciel au-dessus d'elle. Elle avait l'impression de s'être battue pendant des heures, et pourtant, le soleil était à peine au-dessus de l'horizon. Sigrid la rejoignit, secoua la tête, et remarqua :
- Je ne sais pas d'où vous vient cet attrait pour vous démolir à tous prix, à vous deux, mais il va me falloir du temps pour te remettre en état.
Gillan tenta un haussement d'épaules pour montrer que ce n'était pas grave, mais ce n'était pas si facile quand on était étalé par terre. Et ça l'était encore moins quand le geste envoya un horrible éclair de douleur dans sa poitrine. Vue la manière dont Killian lui avait tailladé la poitrine lors du dernier assaut, c'était étonnant qu'elle soit encore en un seul morceau. Elle ne tenta pas de regarder les blessures, ça aurait juste suffi à l'effrayer. Il suffit de voir l'expression de Sigrid, quand elle écarta les pans déchiquetés et tachés de sang de sa chemise. La soigneuse se mit immédiatement au travail, agitant son fidèle bâton au-dessus de sa camarade. Une lueur bleutée l'entoura, faisant refluer la douleur. Tout en s'affairant à refermer les plaies les plus profondes, Sigrid expliqua :
- Il va me falloir un moment pour réussir à refermer toutes tes blessures. En plus, tu as perdu beaucoup de sang. Je pense que tu vas être condamnée au repos forcé pendant un moment.
- Et M... K-Killian ?
- Tu l'as vraiment bien arrangé. Je dois dire que c'était très satisfaisant de te voir lui redessiner le portrait, ça m'évitera d'avoir à le faire.
L'épéiste lui jeta un regard voulant certainement dire « sois sérieuse une minute », et elle se reprit :
- Lucillien s'occupe de lui, c'est le seul à pouvoir utiliser le mot « soin » autour de Killian sans être mordu. A part moi, bien sûr, mais c'est parce que je suis magnifique. Et qu'il sait que je n'hésiterai pas à le mettre hors d'état de nuire pour pouvoir le soigner, même si ça me donne du travail en plus. Mais comme en l'occurrence, je suis en train de m'occuper de toi, je laisse notre gentil moine se charger de lui. Et je lui souhaite beaucoup de bonheur.
- Ca le f-fera encore râler...
- Ca ne change pas de d'habitude.
- Je me demande p-pourquoi il tient tellement à se f-faire accepter par lui... Enfin, K-Killian est...
- Insupportable, grognon, supérieur. Mais chacun peut trouver chaussure à son pied, non ?
- T-Tu crois qu'ils... ?
- Je ne sais pas, mais ce serait amusant. Maintenant, tais-toi, et laisse-moi exercer mon toucher magique.
- Ca f-fait un peu bizarre, dit c-comme ça...
Néanmoins, elle obéit à son ordre et ferma les yeux. Ses blessures se fermaient lentement, la sensation était étrange, mais la douleur avait disparu. Elle se sentait fatiguée, très fatiguée, et la chaleur des sortilèges était agréable. Elle entendait le bruissement des robes de Sigrid quand elle bougeait, et les marmonnements de Lucillien mélangés aux grognements de Killian qui devait être en train de dire qu'il ne voulait pas qu'on le soigne, mais elle n'en était même plus sûre, les mots se mélangeaient. Elle n'eut même pas conscience que Krile venait s'agenouiller à côté d'elle, elle dormait déjà du sommeil du juste.
Gillan se plaça d'un côté de l'endroit qu'ils avaient choisi pour leur affrontement. C'était elle qui avait demandé à ce que finalement, elle et son maître se battent. Elle estimait être suffisamment forte, maintenant, pour ne plus avoir besoin de son enseignement. Il était temps qu'elle s'en libère. La dette de Killian serait payée, et ils pourraient partir chacun de leur côté. Mais pour ça, il faudrait qu'ils se battent. Elle espérait juste qu'ils s'arrêteraient avant que quelqu'un ne soit tué. Elle essuya ses mains sur sa tunique, elles étaient moites. Elle avait peur, mais au moins, elle en était consciente. Elle saurait faire avec, son épée ne tremblerait pas. C'était juste dommage que son adversaire s'en rendrait compte aussi, c'était le genre de choses qu'il ne manquerait pas. Mais enfin, elle n'allait pas reculer. Elle vérifia que le bandeau retenant ses cheveux était bien serré et ne glisserait pas sur ses yeux au mauvais moment. Bon, elle était aussi prête qu'elle pouvait l'être. Elle prit son sabre et se mit en garde.
De l'autre côté, Killian toisait son élève. Du moins, elle l'était encore pour quelques temps. Ensuite, elle serait sûrement morte. Il n'allait pas retenir ses coups sous prétexte qu'elle avait été son élève, qu'elle et sa sœur s'entendaient bien, ou quelques autres bêtises sentimentales du genre. Au contraire, il allait l'attaquer de toutes ses forces. Après tout, elle estimait être assez forte maintenant pour ne plus avoir besoin de lui, elle se pensait même assez forte pour réussir à tenir un combat contre lui. Le battre, n'en parlons pas. Il n'allait pas se faire battre par une gamine. Il allait juste lui montrer que l'orgueil ne faisait pas tout, et que ce n'était pas parce qu'elle savait un peu agiter une épée qu'elle était de taille à lui tenir tête. Ce que ça voudrait dire sur ses méthodes d'enseignement, il s'en fichait, il ne comptait pas continuer de toute façon. Il allait éliminer cette gamine, et il reprendrait son chemin, sans idiots de mercenaires à ses basques. Il espérait tout de même qu'elle lui procurerait un beau combat. Il tira lui aussi son arme, avec un pincement de regret pour sa fidèle lame, et se mit lui aussi en garde.
Pendant un long moment, ils s'affrontèrent du regard, chacun tentant de lire la détermination de l'autre. Le vent agitait leurs vêtements et leurs cheveux, et Gillan se demanda comment Killian faisait pour que par miracle, il n'ait pas les cheveux dans le visage. Puis elle chassa l'idée de sa tête et se concentra. L'avantage qu'elle avait sur les autres adversaires qui étaient déjà tombés sous la lame du maître d'armes, c'était que même s'il ne lui avait pas révélé tous ses secrets, elle avait quand même une idée plutôt convenable de son style de combat, et elle pouvait se préparer à certaines choses. Elle savait qu'il avait l'habitude de porter la première attaque à une vitesse incroyable, et de frapper en diagonale du bas vers le haut, une méthode qui portait ses preuves. Soit elle le laissait faire et elle bloquait, avec le risque de finir éventrée, soit elle prenait l'initiative. Elle n'était pas assez rapide pour faire pareil, certes, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était sans ressources.
Il se jeta sur elle comme elle s'y attendait, et il était au moins aussi rapide qu'elle se rappelait, mais elle était prête. Le coup partit non pas vers le haut comme elle s'y attendait, mais d'estoc. Il la transpercerait de part en part, si elle ne réagissait pas. Plutôt que de détourner son arme et de se faire percuter dans la manœuvre, elle s'écarta de sa trajectoire à la dernière seconde, et avant qu'il puisse la corriger, elle lui attrapa le bras, pivota sur elle-même et le projeta par-dessus son épaule. Le mouvement était parfaitement exécuté, mais le maître d’armes retomba sur ses pieds sans avoir l’air vraiment gêné. Il avait tout de même l’air un tout petit peu surpris d’avoir été ainsi contré, et c’était déjà une victoire, même si elle était minime.
Ils se remirent en garde, et cette fois-ci, Killian n’attendit pas qu’ils se regardent dans les yeux pendant des heures, il se jeta tout de suite sur elle. Gillan s’écarta à nouveau, une seconde trop tard, et la pointe de l’épée toucha sa joue, y traçant une mince coupure. Le maître d’armes eut un sourire satisfait en voyant le filet de sang qui s’en échappa, et réattaqua. Cette fois-ci, elle l’attendait de pied ferme. Quand il frappa, elle se baissa, évitant le coup de quelques centimètres à peine, et prenant appui de la main sur le sol, lui expédia un coup de pied dans le genou, de toutes ses forces. Cette fois-ci, elle l’envoya au tapis. Il se releva immédiatement et grogna. Il ne l’avait pas formée à se battre comme ça, qu’est-ce que c’était que ces méthodes ? Bon, d’un autre côté, il lui avait bien appris à faire tout ce qui était en son pouvoir pour gagner, mais… Gillan coupa ses pensées d’une attaque rapide qui faillit toucher son bras. Un pas de côté, il imita son attaque, mais il n'y mit pas assez de force, et la pointe de son sabre glissa sur la manche sans réussir à l'entailler. Ils étaient proches, très proches, un spectateur extérieur aurait pu croire qu'il s'agissait d'une rencontre romantique plutôt que d'un affrontement à mort. Gillan attrapa Killian par le col de sa chemise, le tira vers le bas comme si elle voulait l'embrasser, mais leurs crânes se heurtèrent avec un bruit sec. Le maître d'armes en vit trente-six chandelles. Néanmoins, il para l'épée que son élève tentait de lui passer en travers du corps, attrapant son poignet et le tordant. Elle dut tirer pour qu'il la lâche, et ses ongles laissèrent des traces sanguinolentes. Il la suivit quand elle recula, tentant de lui administrer un coup en travers du corps, poussant son avantage. Gillan évitait, mais elle n'avait pas le temps de préparer la moindre attaque, ou elle finirait en deux parties bien séparées sur l'herbe. Jusqu'ici, elle s'en était plutôt bien tirée, mais elle n'allait pas tarder à rencontrer un obstacle, ou la limite du champ, l'un ou l'autre, et Killian en finirait avec elle. Il fallait absolument qu'elle le repousse, mais elle était en difficulté, et elle n'avait pas de carte dans sa manche, pas de magie ni rien. La seule défense qu'elle avait, c'était l'attaque. Au lieu de reculer, elle se jeta à sa rencontre. Killian ne fut pas vraiment surpris, et il écarta la lame avec facilité, ne récoltant qu'une estafilade à l'épaule. Son élan l'entraîna trop loin, la forçant à tourner le dos au maître d'armes pendant une seconde. Seconde que celui-ci mit à profit pour lui infliger une entaille profonde au mollet. Par un effort de volonté, elle réussit à rester debout, mais le coup lui arracha un cri de douleur, et elle s'éloigna en boitillant. Killian la regarda, puis leva l'épée et, d'un mouvement lent, lécha le sang sur la lame. Une fois fini, il remarqua :
- Ton sang n'a pas le goût de celui d'une vraie épéiste. Tout au plus... d'une guerrière. Une guerrière qui manque encore d'expérience. Moi qui espérais qu'il serait électrisant....
S'il s'attendait à une réaction explosive, il fut bien déçu. Gillan se contenta de répondre :
- J-je ne savais p-pas que je vous faisais un t-tel effet. Vous voulez vous b-battre, ou me faire la cour ?
Le maître d'armes grogna, et il repassa à l'attaque. Mais cette fois, Gillan l'attendait de pied ferme. Le coup suivant visait son cœur, elle bloqua l'épée de la sienne. Killian tenta de la pousser, elle tint bon malgré sa jambe blessée. Elle ne pouvait pas à nouveau riposter d'un coup de pied, même si abîmer le genou qu'elle avait déjà attaqué les aurait mis à égalité. Mais elle était bien décidée à ne pas lâcher d'un pouce. Ils s'affrontèrent ainsi pendant quelques secondes, puis comme d'un commun accord, reprirent leurs distances et se remirent en garde.
La blessure que Gillan avait à la jambe l'élançait, et elle savait qu'elle saignait toujours. Ce n'était pas une bonne chose. Si même à son meilleur, elle était à peine de taille à survivre contre le maître d'armes, avec une blessure, elle n'était que de la viande hachée en attente. Si seulement elle pouvait trouver un moyen d'équilibrer les comptes... Elle avait peut-être une idée, c'était juste assez fou pour que ça marche. L'ennui, c'était que si ça ne marchait pas, elle était fichue. Néanmoins, c'était la seule idée qu'elle avait. Elle courut vers le maître d'armes, assez vite pour se donner de l'élan. Elle leva le bras, comme pour porter une attaque maladroite qu'il vit venir de loin, et qui lui arracha un sourire moqueur. A trois mètres, elle abaissa le bras, et lança son épée. Killian ne s'y attendait absolument pas, et il ne la stoppa donc pas. La garde de l'épée le heurta en plein front, assez fort pour l'entailler, et passa derrière lui. Gillan glissa sur l'herbe, évita adroitement l'attaque qu'il lança à l'aveugle, récupéra son arme et se releva. Le maître d'armes lui faisait de nouveau face, mais il avait maintenant une plaie au milieu du front, qui dans le meilleur des cas lui laisserait un bleu magnifique. Ce n'était pas encore ce qu'elle voulait, mais c'était déjà un progrès. Maintenant, il fallait l'affaiblir.
Elle attaqua, encore. Killian l'attendait. Elle frappa à la taille, et il s'apprêtait à parer. Mais, comme Krile lui avait montré, elle détourna la direction du coup au dernier moment, remerciant son entraînement qui lui avait permis de développer les muscles pour ce genre d'attaques. Qui prit le maître d'armes complètement par surprise. Elle lui infligea une jolie blessure au bras, celui qui tenait son épée. Rapide comme l'éclair, il riposta et l'atteignit au côté, mais ça n'avait pas l'air bien grave. Proche de lui comme elle l'était, elle en profita pour lui accorder également un coup de coude au visage qui le surprit encore une fois. Il pivota, prenant appui sur un pied tout en changeant son épée de main, et frappa, de gauche à droite, dans l'intention bien arrêtée de l'éventrer. Elle recula d'un pas, et il poussa son avantage, fendant l'air dans l'autre sens. Un nouveau coup, elle battit encore en retraite, et cette fois-ci, il abattit son arme de haut en bas. Au lieu de reculer encore, et de devoir prendre appui sur sa jambe blessée qui ne tiendrait peut-être pas, elle avança vers lui, pour réduire l'intensité du coup. La base de la lame la heurta à l'épaule, mais la blessure n'était pas aussi grave que prévu. Killian la regarda un instant, étonné de sa manœuvre, puis baissa les yeux. Elle suivit son regard, et se rendit compte qu'elle avait instinctivement pointé son épée sur lui quand elle avait avancé. Et la lame était profondément plantée dans le flanc du maître d'armes, à tel point qu'elle devait tendre son manteau bleu de l'autre côté. Pendant une seconde, deux secondes, même, elle s'en voulut. Et puis elle se rappela que s'il était à sa place, Killian n'aurait pas hésité une seconde, et il aurait visé le cœur. Elle tira donc son arme, n'hésitant pas à s'appuyer du pied pour la retirer. Cette fois-ci, ce fut au tour du maître d'armes de mettre une distance de plusieurs pas entre eux. Il plaqua la main sur la blessure, et eut l'air presque surpris de voir le sang couler sur ses doigts. Et même si le maître d'armes était un crétin misogyne et que c'était de sa faute si elle était là à défendre chèrement sa vie au lieu d'être bien tranquille dans son lit, elle eut un pincement au cœur en le voyant. Il avait l'air... presque humain. C'était juste dommage qu'il faille le faire souffrir pour parvenir à ce résultat.
Ils recommencèrent à se tourner autour. La blessure de Killian le ralentissait. Il savait qu'elle n'était pas mortelle, il en avait déjà supporté des bien plus graves, et il pouvait parfaitement gagner même ainsi. Mais les muscles avaient été sectionnés en profondeur, et il aurait plus de mal à se protéger des attaques venant de la gauche. Gillan ne manquerait pas d'attaquer de ce côté-là, mais ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Si elle pensait l'avoir mis hors d'état de nuire, elle se préparait une belle surprise ! D'ailleurs, elle passa à nouveau à l'attaque. Plus vite que ce qu'il pensait, l'entaille à sa jambe n'avait pas l'air de tellement la gêner. Il faudrait peut-être qu'il taille plus sérieusement, la prochaine fois. Il para l'attaque vers son épaule d'un coup vers le bas, destiné à blesser une nouvelle fois Gillan à la jambe. Elle esquiva d'un drôle de petit saut de côté et frappa à nouveau. Comme avant, elle détourna la direction de son attaque au dernier moment, le forçant à se tordre le bras pour parer, et provoquant un éclair de douleur intense dans sa blessure au flanc. Il la repoussa, continua le mouvement, et la pointe de son épée traça une nouvelle ligne écarlate sur la joue de Gillan, juste au-dessus de la première. Elle para, un peu trop tard, et les deux lames s'entrechoquèrent avec violence. Elle saisit alors son épée à deux mains, et porta un nouveau coup. Les deux armes se heurtèrent encore, et encore. L'épéiste mettait toute sa force dans les coups, des attaques grossières que le maître d'armes n'avait aucun mal à bloquer, et bien trop fortes pour le peu d'effet qu'elles avaient. Killian se demanda à quoi elle jouait, il ne lui avait pas appris à se battre comme ça, il lui avait montré une manière bien plus subtile de faire. Alors à quoi elle jouait ? Est-ce qu'elle essayait de briser son épée ? A ce petit jeu, la sienne allait souffrir tout autant. Bien sûr, il était obligé de parer, ses mouvements étaient violents mais rapides, il manquait de temps pour contre-attaquer. Mais elle ne le touchait pas, ni ne perçait sa défense, on aurait dit que ce n'était même pas son intention. Il comprit quand sa blessure recommença à l'élancer, plus douloureusement qu'avant, et qu'un nouveau filet de sang frais s'en échappa. Elle ne voulait pas tant lui porter un coup, que de rouvrir sa blessure pour l'affaiblir. C'était brutal, mais bien pensé. Et s'il ne reprenait pas bientôt le dessus, il serait obligé, pour la première fois, de s'avouer battu.
Attirés par le bruit des épées qui se heurtaient, plusieurs personnes étaient venues voir ce qui se passait. D'abord quelques personnes, puis, quand la nouvelle se répandit que Killian le Chien de Guerre, le maître d'armes légendaire, était en train de se battre contre celle qui était son élève, et qu'il ne l'avait pas encore réduite en petits morceaux, ils vinrent de plus en plus nombreux pour assister au combat. Krile se déplaça elle aussi. Si on lui avait demandé si elle venait encourager sa nouvelle amie, regarder son frère se faire massacrer, ou l'inverse, elle aurait fraîchement envoyé cette hypothétique personne sur les roses. A vrai dire, elle n'était pas sûre de savoir elle-même ce qu'elle venait chercher là, mais elle avait l'impression qu'il fallait absolument qu'elle y soit. Elle vint donc comme les autres se placer au bord du terrain où les deux guerriers s'affrontaient. Les autres membres du groupe de mercenaires étaient là également, à regarder leurs amis se battre (du moins pour certains, leur amie et son maître), et ils lui firent une place parmi eux pour qu'elle puisse profiter du spectacle et se ronger les ongles en attendant de voir qui allait sortir vainqueur du combat.
Nouvel assaut, nouvelle attaque. Killian frappa, de bas en haut, passant juste sous le bras de Gillan, mais le coup manquait un peu de puissance, et au lieu de la blesser, il coupa nettement la ceinture qui retenait sa chemise fermée. Elle s'en débarrassa d'un geste tout en ripostant, manquant lui couper une mèche de cheveux dans la manœuvre, laissant le vêtement s'ouvrir, dévoilant les bandes de tissu qui maintenaient sa poitrine. Le maître d'armes leva le sourcil, de la voir aussi peu troublée, elle répondit :
- Q-Quoi ? Vous p-pensez que je vais c-couiner et me c-cacher ?
Elle ponctua sa phrase d'un coup de poing qui l'atteignit à la mâchoire, qu'elle doubla d'une attaque sèche, frappant sur la gauche du maître d'armes. Il bloqua l'attaque, tourna sur lui-même, se retrouva derrière son élève. Il lui porta une attaque dans le dos, visant la colonne vertébrale. Elle esquiva de justesse, alignant sa lame dans son dos pour l'arrêter, et se tourna pour lui faire face. Killian frappa d'estoc, visant le visage, plus précisément l’œil. Gillan se pencha en arrière, tendant tout son corps comme un arc, et la lame passa trop haut. Le maître d'armes voulut alors l'abattre sur elle, la couper en deux, mais lâchant son épée et prenant appui sur ses mains, elle lança ses jambes en l'air, les faisant passer au-dessus d'elle. Elle sourit en sentant l'une de ses bottes entrer en contact violent avec la main de Killian, écrasant les doigts contre la poignée de son épée. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle l'entendit grogner de douleur et non pas de colère. Elle retomba sur ses pieds, reprit son épée au passage et se remit en garde.
Jusque là, le combat avait pris peu de temps, et pourtant, ils étaient les deux épuisés. Ils avaient le souffle court, les membres douloureux, et leurs blessures les affaiblissait. Gillan avait beau se forcer à continuer, elle commençait à traîner la jambe. Les deux coupures sur son visage, ce n'était rien. Le reste, ça devrait aller. Killian n'était pas tellement en meilleur état. Il avait une petite plaie au front, et la peau autour bleuissait rapidement, ainsi qu'au niveau de sa mâchoire. Elle avait frappé plutôt fort. Et surtout, il gardait la main plaquée sur la large blessure qui s'ouvrait dans son flanc. Elle ne devait pas avoir traversé d'organe vital, sinon il serait depuis longtemps en train de se vider sur le sol, mais les attaques répétées de Gillan avaient porté leurs fruits, et elle continuait de saigner. Si le combat se prolongeait encore longtemps, il risquait d'y passer. Cette fois-ci, c'était le dernier assaut. Il fallait qu'ils en finissent, vite. Ils se toisèrent, une fois encore. Gillan remarqua le léger changement dans le regard du maître d'armes. Il était légèrement moins froid, un peu plus... humain ? Mais c'était peut-être juste la fièvre du combat qui parlait, elle n'était pas actuellement sûre que Killian avait un cœur. Du moins, pas le genre avec des émotions dedans, juste le genre au travers duquel on pouvait passer une épée. Et elle avait bien l'intention de le faire, si c'était ce qu'il fallait pour qu'elle survive au combat. Néanmoins, elle lui adressa un léger signe de tête. Qu'il l'interprète comme il voulait.
Comme s'ils entendaient un signal, ils se jetèrent l'un vers l'autre. Gillan eut un geste pour frapper comme Killian le faisait, de la taille à l'épaule en une large diagonale. Quand le maître d'armes s'apprêta à bloquer, elle détourna une fois encore la direction de son attaque. Mais elle ne pouvait pas toujours utiliser les mêmes techniques, et le maître d'armes s'y attendait. Sur le trajet de sa lame, elle rencontra un bras. La lame mordit dans le tissu et la chair, le sang gicla, et elle resta fichée dans la chair. Killian en profita pour lui porter un coup de taille, large, avec tout l'espace nécessaire pour donner un maximum de vitesse à la lame. Elle s'enfonça dans la chair de Gillan juste sous les côtes. Il tira sur l'épée, l'arrachant à la plaie. Le sang s'échappa en éventail, tachant l'herbe. Malgré la gravité de la blessure, pourtant, elle ne s'effondra pas. Elle agrippa le bras armé du maître d'armes, pour l'empêcher de s'enfuir. Pas moyen de récupérer son arme, il s'arrangeait pour qu'elle reste coincée et bien coincée. Plutôt que de tenter de la reprendre et intercepter une nouvelle attaque qui la tuerait certainement, elle lâcha la poignée de l'épée. Killian ne s'y attendait certainement pas, c'était impensable pour lui qu'une guerrière accepte d'abandonner son arme. Et il s'attendait encore moins à ce qu'elle lui expédia un magnifique coup de poing en plein sur le nez. Qui se brisa avec un craquement écœurant. La douleur fusa, se répandant dans tout son crâne comme lors de ses pires migraines, et des étoiles envahirent son champ de vision. Bien malgré lui, sa prise sur l'épée toujours fichée dans son bras se relâcha. Mais Gillan n'en profita pas pour la prendre. A la place, elle le frappa à l'estomac, deux fois, très sèchement, mettant tout son poids dans le geste. Cette fois, il recula. Mais elle n'abandonna pas. Elle suivit le mouvement, accompagnant sa retraite, faisant pleuvoir les coups sur le maître d'armes, encore et encore. Il frappait, elle sentait la lame entailler sa peau, ses vêtements, les bandes de tissu autour de sa poitrine, mais elle ne lui laissait pas l'occasion de reprendre ses esprits, et les blessures n'étaient pas si graves. Et si c'était le cas, elle ne le sentait pas, pas avec l'adrénaline qui courait dans ses veines et lui donnait l'impression d'être invincible. Elle n'entendait rien autour d'elle, tout ce qu'elle percevait, c'était les chocs satisfaisants de ses poings contre le visage, le corps du maître d'armes. Depuis le temps qu'elle rêvait de lui donner une bonne leçon, eh bien, c'était ce qu'elle était en train de faire. Et la vengeance était délicieuse.
Elle réussit ainsi à le pousser presque jusqu'à la limite du terrain, martelant son visage avec satisfaction, puis les blessures qu'elle venait de recevoir finirent par se montrer plus fortes qu'elle. Dans le même temps, l'effet motivant de l'adrénaline se dissipa, et elle faillit s'effondrer. En plus, elle n'avait pas pris en compte le fait qu'elle s'était éloignée de l'endroit où son arme était tombée, et qu'elle se retrouvait maintenant face à un maître d'armes ensanglanté, blessé et certainement humilié. Voyant que son assaut furieux avait cessé, celui-ci en profita pour la repousser sèchement. Elle tomba sans aucune grâce sur les fesses et y resta. Elle était trop épuisée pour se relever encore, et plus rien ne pourrait la pousser à se relever. Tant pis, Killian allait la tuer pour avoir été une mauvaise élève, et elle était trop épuisée pour résister. Il avança vers elle, l'épée à la main, et elle ne leva même pas la tête. Mais elle se réjouit intérieurement de voir le sang qui dégouttait de ses doigts. Le maître d'armes se planta devant elle, la toisant un instant. Gillan eut envie de fermer les yeux, mais elle ne le fit pas. Il aurait été capable de faire durer les choses, quoiqu'elle ne voyait pas comment il aurait pu encore plus les faire durer... Il l'observa pendant un moment, jusqu'à ce que ça devienne inconfortable et qu'elle se demande ce qu'il attendait. Il se pencha alors, attrapa l'une des mèches qui s'étaient échappées de sa tresse, et la trancha d'un coup d'épée. Puis il se laissa tomber à côté d'elle avec la grâce d'un sac de sable et resta étalé par terre. Elle lui jeta un coup d'oeil surpris. En fait, elle était plus que surprise. Jamais, depuis tout le temps qu'elle le connaissait, Killian ne s'était laissé allé à se coucher par terre, si on oubliait la fois où elle l'avait trouvé. Ce n'était pas digne d'un maître d'armes. Et pourtant, il était vautré par terre, et son épée n'était même plus dans sa main. La curiosité eut raison de son épuisement, et puisqu'il n'allait pas la tailler en morceaux, elle se laissa même aller à le pousser du bout du pied. Au lieu d'une insulte et d'une punition exemplaire, elle ne récolta qu'un grognement. Elle le poussa encore, jusqu'à ce qu'il lui jette un regard noir, et leva un sourcil en une interrogation muette. Il finit par expliquer :
- Tu es encore loin de mon niveau, et tu ne l'atteindras sans doute jamais. Devenir un maître d'armes de ma trempe demande de la concentration, du travail, et une volonté que tu n'as pas. Mais, continua-t-il après une longue pause, tu es devenue une guerrière. Une véritable épéiste. Ton style est... brutal, et manque de raffinement, mais il est efficace. C'était un combat intéressant.
Gillan mit un moment à digérer ce qu'il venait de lui dire. En Killian dans le texte, c'était le plus grand compliment qu'elle l'ait jamais entendu dire. Elle murmura :
- Merci, m-maître.
- Ne me remercie pas, coupa-t-il. Je ne te flatte pas, je me contente de dire les choses. Et ne m'appelle pas maître. Je ne suis plus ton maître. Gillan resta silencieuse un moment, regarda les gens qui venaient vers eux, probablement parce qu'ils devaient tous les deux former un tableau assez pitoyable. Alors elle avait survécu, et il ne la tuerait pas ? Tant mieux. Et encore mieux, il reconnaissait sa valeur. Elle en avait rêvé, il fallait bien l'avouer. Ce n'était pas tous les jours que le grand maître d'armes Killian reconnaissait la valeur du moindre de ses adversaires. Peut-être pas en tant que son égal, mais tout de même, c'était déjà bien plus que ce qu'elle pouvait espérer. Au moment où Sigrid allait les rejoindre en pestant contre les maîtres d'armes et les épéistes qui n'avaient rien de mieux à faire que de se blesser exprès, elle demanda, presque taquine :
- Est-ce q-que ça veut dire q-que vous allez vous c-couper les cheveux ?
Le regard noir qu'elle reçut en réponse lui rappela qu'elle l'avait peut-être mis en mauvais état, mais qu'il restait un maître d'armes sans cœur et redouté à travers tout le continent. Pourtant, il se contenta de répondre :
- Je n'ai pas perdu, je n'ai pas à le faire. Ceci dit, je ne te le demanderai pas non plus. C'est un match nul.
Elle n'allait pas discuter, de toute façon, il ne lui restait plus assez d'énergie pour ça. Elle était vivante, c'était tout ce qui comptait. Elle se laissa tomber en arrière, se couchant sur l'herbe, et regarda le ciel au-dessus d'elle. Elle avait l'impression de s'être battue pendant des heures, et pourtant, le soleil était à peine au-dessus de l'horizon. Sigrid la rejoignit, secoua la tête, et remarqua :
- Je ne sais pas d'où vous vient cet attrait pour vous démolir à tous prix, à vous deux, mais il va me falloir du temps pour te remettre en état.
Gillan tenta un haussement d'épaules pour montrer que ce n'était pas grave, mais ce n'était pas si facile quand on était étalé par terre. Et ça l'était encore moins quand le geste envoya un horrible éclair de douleur dans sa poitrine. Vue la manière dont Killian lui avait tailladé la poitrine lors du dernier assaut, c'était étonnant qu'elle soit encore en un seul morceau. Elle ne tenta pas de regarder les blessures, ça aurait juste suffi à l'effrayer. Il suffit de voir l'expression de Sigrid, quand elle écarta les pans déchiquetés et tachés de sang de sa chemise. La soigneuse se mit immédiatement au travail, agitant son fidèle bâton au-dessus de sa camarade. Une lueur bleutée l'entoura, faisant refluer la douleur. Tout en s'affairant à refermer les plaies les plus profondes, Sigrid expliqua :
- Il va me falloir un moment pour réussir à refermer toutes tes blessures. En plus, tu as perdu beaucoup de sang. Je pense que tu vas être condamnée au repos forcé pendant un moment.
- Et M... K-Killian ?
- Tu l'as vraiment bien arrangé. Je dois dire que c'était très satisfaisant de te voir lui redessiner le portrait, ça m'évitera d'avoir à le faire.
L'épéiste lui jeta un regard voulant certainement dire « sois sérieuse une minute », et elle se reprit :
- Lucillien s'occupe de lui, c'est le seul à pouvoir utiliser le mot « soin » autour de Killian sans être mordu. A part moi, bien sûr, mais c'est parce que je suis magnifique. Et qu'il sait que je n'hésiterai pas à le mettre hors d'état de nuire pour pouvoir le soigner, même si ça me donne du travail en plus. Mais comme en l'occurrence, je suis en train de m'occuper de toi, je laisse notre gentil moine se charger de lui. Et je lui souhaite beaucoup de bonheur.
- Ca le f-fera encore râler...
- Ca ne change pas de d'habitude.
- Je me demande p-pourquoi il tient tellement à se f-faire accepter par lui... Enfin, K-Killian est...
- Insupportable, grognon, supérieur. Mais chacun peut trouver chaussure à son pied, non ?
- T-Tu crois qu'ils... ?
- Je ne sais pas, mais ce serait amusant. Maintenant, tais-toi, et laisse-moi exercer mon toucher magique.
- Ca f-fait un peu bizarre, dit c-comme ça...
Néanmoins, elle obéit à son ordre et ferma les yeux. Ses blessures se fermaient lentement, la sensation était étrange, mais la douleur avait disparu. Elle se sentait fatiguée, très fatiguée, et la chaleur des sortilèges était agréable. Elle entendait le bruissement des robes de Sigrid quand elle bougeait, et les marmonnements de Lucillien mélangés aux grognements de Killian qui devait être en train de dire qu'il ne voulait pas qu'on le soigne, mais elle n'en était même plus sûre, les mots se mélangeaient. Elle n'eut même pas conscience que Krile venait s'agenouiller à côté d'elle, elle dormait déjà du sommeil du juste.