Chapitre 25
Ils furent tirés du lit alors que le soleil ne frôlait même pas encore l'horizon. Pervenche avait l'impression de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit, mais le pincement de nervosité qu'elle ressentait eut tôt fait de chasser toute trace de sommeil. Elle se prépara avec un soin tout particulier, n'oubliant aucune arme, aucun équipement qui pourrait éventuellement lui sauver la vie, y compris un casque qu'on lui avait fourni. Quand elle rejoignit les autres, le pincement s'était changé en une angoisse grand format qui lui écrasait la poitrine et l'empêchait de respirer. Et à en juger par les cernes qu'affichaient ses camarades, elle n'était pas la seule à avoir eu une nuit courte et difficile. Meven était curieusement silencieux et immobile, et il tirait de temps en temps sur le foulard qui lui couvrait le front, dans un geste dont il ne se rendait apparemment pas compte. Sigrid avait l'air calme, mais ses mains tremblaient. A côté d'elle, Ewan était encore plus immobile que d'habitude, ses lèvres remuant silencieusement en une répétition de ses sorts ou une prière, pas moyen de savoir. Hélios était plus pâle qu'un mort, et ses mains se crispaient nerveusement sur le manche de sa lance. Etrangement, les plus calmes du groupe semblaient être Lucillien et Killian. Le moine paraissait imperméable à la tension ambiante, et égrenait tranquillement son chapelet. Pervenche envia son détachement. Le maître d'armes avait l'air impatient, ce qui n'étonna absolument personne. Du moins, c'est ce qu'il ressortait de ses doigts qui pianotaient sur la poignée de son sabre. A côté de lui, Gillan tentait de faire bonne figure, mais son teint prenait lentement une teinte de vert assez intéressante. Killian le remarqua – c'était difficile de ne pas le voir -, mais à la surprise générale, au lieu de la prendre par le col et de la secouer comme un prunier, il se contenta de se pencher vers elle et de lui murmurer quelque chose à l'oreille. Ca devait être réconfortant, d'une certaine manière, parce qu'elle eut l'air un peu moins prête à prendre ses jambes à son cou. Pervenche aurait été prête à donner son bras droit pour savoir ce qu'il avait dit, mais ce n'était probablement ni le lieu, ni l'endroit.
Bien trop vite, vint l'heure de se joindre au reste de l'armée, dans la plaine ronde choisie comme champ de bataille. Malikaï les avait intégrés à sa stratégie, et avait pris soin de leur attribuer à chacun une place dans les rangs en fonction de leurs compétences. Il leur communiqua leurs affectations d'une voix qui tremblait, et leur souhaita bon courage. Lucillien resta en arrière avec lui, ses convictions lui interdisant formellement de prendre les armes. Il promit de prier pour eux jusqu'à ce qu'ils reviennent en vie. Sigrid protesta qu'elle aurait voulu se mêler au combat et qu'une soigneuse ne servait à rien si elle n'était pas au sein du combat pour soigner, mais Ewan lui fit remarquer qu'elle avait beau manier son bâton de soin avec une adresse et une violence rare, elle ne ferait pas long feu au milieu du combat. Elle dut bien admettre qu'il avait raison et se contenta de râler et de maudire Dogmaël et ses idées idiotes de guerre. Il lui tapota le bras d'un geste maladroit et alla se poster avec les autres mages et les archers, en hauteur. Hélios se mêla à la cavalerie, où on lui fournit une monture appropriée. Il aurait été bien plus à l'aise avec Siran, mais un seul wyvern volant au-dessus du champ de bataille aurait été une cible plus que facile pour les archers ennemis. Il se contenta donc d'un cheval, en priant pour que le changement ne le déconcentre pas au moment crucial. Pervenche, Meven, Killian et Gillan rejoignirent les fantassins. L'assassin avait échangé ses couteaux contre une épée qu'il soupesait. Quand Pervenche le regarda, il lui assura qu'il avait suffisamment d'expérience avec ça pour botter les fesses de n'importe qui sans aucun problème. La mercenaire n'insista pas, mais sa bonne humeur forcée avait quelque chose de sinistre. Étonnamment, Krile la conseillère vint les rejoindre. Elle n'accorda à son frère qu'un signe de tête froid, auquel il répondit par un sourcil levé, puis les deux s'ignorèrent au profit de l'armée adverse.
Ils n'eurent pas longtemps à attendre. Comme par un fait exprès, en même temps que le soleil pointait derrière eux, l'armée de l'Ouest fit son apparition. Un murmure courut parmi les rangs. L'armée ennemie avait l'air nombreuse, plus nombreuse qu'eux, et lourdement armée. Fantassins, archers, cavalerie, comme pour l'armée de l'Ouest. Il devait probablement y avoir des mages parmi eux également, on ne pouvait pas en attendre moins d'un dirigeant comme le Roi-Sorcier, il fallait juste espérer qu'ils ne soient pas aussi puissants que lui. Pervenche fut un peu rassurée qu'ils n'avaient pas de dragon, de trolls géants ou d'immenses animaux de combat. Sur ce point, au moins, les légendes mentaient, mais c'était bien la seule chose un tant soi peu rassurante qu'il y avait là-dedans.
A la tête de l'armée ennemie chevauchaient trois personnes. Deux d'entre elles portaient une armure complète, la troisième était enveloppée dans une cape dont le capuchon dissimulait le visage. Ce n'était pas difficile de reconnaître Dogmaël dans l'une des deux silhouettes caparaçonnées de métal. Même si la visière de son heaume avait été baissée, il aurait été reconnaissable que par sa haute taille. L'individu qu'il avait présenté comme son assistant se tenait respectueusement en retrait, et même d'où elle était, Pervenche pouvait sentir ses yeux de chat sans âme se promener sur l'armée, à la recherche d'elle ne savait trop quoi. La troisième personne, par contre, pas moyen d'identifier quoi que ce soit. L'armure était simple, sans signe distinctif, et son heaume cachait entièrement son visage. Sans doute un officier, un commandant en second, ou quelque chose. Malikaï n'avait jamais mentionné personne chargé de diriger cette armée avec Dogmaël, peut-être n'était-il même pas au courant de son existence. Dans ce cas, cette nouvelle personne, qui devait être vraiment puissante pour chevaucher comme un égal au côté du Roi, risquait fort de faire pencher la balance en leur faveur, si le fait qu'ils soient supérieurs en nombre ne s'en chargeait pas.
En face, Elric faisait un peu pâle figure, à la tête de ses propres troupes. Ce n'était pas très étonnant, il ne régnait pas depuis assez longtemps pour avoir connu la guerre, et c'était sa première bataille, qui plus est face à un dirigeant, sinon deux, qui avaient bien plus d'expérience dans le domaine que lui. Néanmoins, il resta digne et droit là où il était, et fut rejoint par Eckhart et Lasérian, qui se tinrent à ses côtés. Des hérauts furent envoyés, comme le voulait la coutume, afin de négocier une éventuelle trêve, bien que personne n'en ait grand espoir. Les discussions furent brèves, dans un silence qui ne faisait rien pour alléger la tension qui régnait, et comme chacun s'y attendait, ne débouchèrent sur rien. A vrai dire, personne même ne s'attendait à ce que les hérauts ne reviennent sains et saufs dans leurs camps, ce qui aurait certainement précipité les choses, mais il restait encore un brin de courtoisie de part et d'autre, et ils furent épargnés.
Pendant un long moment, il ne se passa rien. Les soldats s'agitaient, les chevaux piétinaient, personne ne faisait mine d'attaquer ou de battre en retraite. A la surprise générale, ce fut le second de Dogmaël qui le premier leva le bras, donnant ainsi le signal du début de l'assaut. Les archers de l'Ouest encochèrent leurs flèches, que les mages à leurs côtés enflammèrent. Un son discordant, comme celui d'un millier de harpes, résonna quand les cordes furent lâchées. Les traits fendirent l'air en lignes de lumière, décrivant une courbe gracieuse et mortelle vers l'armée de l'Est. C'était compter sans les mages que Malikaï avait judicieusement placés autour du champ de bataille. Ils levèrent les mains, l'air au-dessus du champ de bataille ondula, les flèches ralentirent, comme si quelque chose s'opposait à leur chute mortelle. Privées de leur vitesse initiale, elles tombèrent comme une pluie sur les soldats en-dessous, qui n'eurent pas grand mal à éteindre les flammes avant qu'elles ne fassent de victimes. Immédiatement après, les archers de l'Est répondirent par une volée de leurs propres flèches. Elles n'étaient pas enflammées, mais les efforts pour les stopper furent moins couronnés de succès, et elles touchèrent davantage de cibles. Par chance, les mages de l'Ouest n'étaient pas autant préparés à ça, ou peut-être moins nombreux, mais l'avantage n'allait pas durer bien longtemps. Sur un signe d'Elric, les fantassins se mirent en marche, suivis par les mages qui maintenaient leur bouclier. Pervenche et les autres suivirent le mouvement. Les flèches sifflaient autour d'eux, avec une force renouvelée. Le fait de marcher portait préjudice à leur concentration, et affaiblissait d'autant la protection qu'ils offraient. Les traits enflammés devenaient une menace qu'il fallait prendre en compte. De leur côté, les mages de l'Ouest prenaient exemple sur leurs adversaires, protégeant les troupes à l'aide de boucliers magiques, ce qui les empêchait d'enflammer toutes les flèches envoyées par leurs archers, rendant leurs attaques un peu moins dangereuses.
Ils rencontrèrent les fantassins adverses au centre de la plaine, et entamèrent immédiatement le combat. Pervenche eut un instant peur de rester pétrifiée par la terreur qui lui rongeait le crâne et de ne pas réussir à défendre chèrement sa vie, formant ainsi une cible facile pour le premier venu. Un ennemi avança vers elle, un choc, peut-être par la main de Meven, elle ne savait pas trop, la fit avancer, et plus par automatisme que par réelle envie de tuer, elle passa son épée au travers du corps qui lui faisait face, juste avant qu'il ne décide de se débarrasser d'elle. Elle ne prit pas le temps de le regarder tomber, ou de laisser l'information la préoccuper trop avant. Ce n'était pas le moment. Ce qui comptait, c'était d'éliminer tous ceux qui se trouvaient sur son chemin, sans laisser ceux autour d'elle l'attaquer par derrière. C'était aussi éloigné du combat en salle qu'on pouvait l'imaginer, mais rien, aucun entraînement, n'aurait pu la préparer à ça. Ce n'était plus un jeu, ce n'était plus une aventure de roman grandiloquent, c'était défendre chèrement sa vie. Et c'était ce qu'elle faisait, frappant, parant, taillant dans la masse. Etant donné la mêlée sans nom qui avait lieu au centre de la plaine, les archers avaient cessé leurs tirs, c'était déjà une menace dont elle n'avait pas à se soucier. Par contre, les mages s'étaient du coup joint au combat au corps-à-corps, et ils n'étaient pas à prendre par-dessus la jambe. Heureusement pour elle, ses connaissances en magie, aussi basiques étaient-elles, lui permettaient de se défendre contre eux. Une lame lui entailla le bras près de l'épaule, elle répondit par un juron très imagé et se débarrassa de celui qui l'avait blessée. Heureusement, ce n'était pas grand-chose, même si elle aillait devoir compter surtout sur son autre main pour se battre. Une esquive, un coup sec à un ennemi mage pour rompre sa concentration et stopper son sort dans l’œuf, suivi d'un revers d'épée rapide, un éclair de magie lumineuse pour en aveugler un autre, planter l'épée, la retirer en s'aidant du pied, recommencer... Elle s'obligeait à décomposer les actions dans son esprit, comme si ce n'était qu'une séance d'entraînement comme elle en avait fait des centaines, ça lui évitait de penser à ce qu'elle était en train de faire, aux gens qu'elle était en train de tuer. Elle se demanda si c'était le cas pour les autres aussi, s'ils avaient des scrupules, ou si, pour eux, l'acte de tuer était devenu un automatisme dont ils n'avaient pas à se préoccuper. Mais ses camarades étaient des gens de guerre, ils devaient avoir l'habitude.
Un coup d’œil très rapide sur sa gauche lui apprit que Meven était fort occupé à tuer tous ceux qui passaient à portée de sa lame, fantassins ou mages, avec une facilité déconcertante. Du peu qu'elle vit, il n'était pas blessé. Ce n'était pas difficile de repérer Krile, Gillan et Killian. Les trois maîtres d'armes se taillaient un passage dans la masse de leurs adversaires aussi facilement qu'à travers un champ de blé, et les soldats faisaient de leur mieux pour les éviter. Sans grand résultat. Pendant un instant, Pervenche se dit qu'avec de telles machines à tuer dans leur camp, il se pourrait qu'au moins cette partie de la bataille se déroulerait en leur faveur. Mais cette lueur d'espoir ne dura pas longtemps. Alors qu'elle éliminait un individu particulièrement hargneux, et qu'elle évitait de justesse un second qui tentait de profiter que son attention soit détournée, elle vit que l'individu en armure qui se tenait auparavant au côté de Dogmaël avait abandonné son cheval pour se mêler aux fantassins. Contrairement aux maîtres d'armes, il n'utilisait pas d'épée, mais deux haches au manche court qu'il maniait avec une violence rare. Heureusement pour la mercenaire, il se tenait à une distance appréciable d'elle, et elle pourrait tenter de se frayer un chemin en sens inverse. En attendant, le combat continuait, et elle ferait mieux de se concentrer sous peine de se faire tuer. Elle se débarrassa d'un nouveau soldat d'un revers de lame particulièrement vicieux et passa au suivant.
L'évolution du combat n'était pas du tout du goût de Dogmaël, semblait-il. Ce qui s'annonçait comme une victoire facile contre une armée inférieure en nombre, dirigée par un roi qui n'y connaissait à peu près rien, traînait en longueur. Il y avait une toute petite chance que les choses ne tournent pas en faveur de l'armée de l'Ouest comme prévu. Mais personne n'aurait pu prévoir la présence non seulement de Killian le Chien de Guerre, mais également d'une élève aussi mortelle que lui et de sa sœur. Tous les trois représentaient une force non négligeable. Mais ce n'était qu'un petit inconvénient qui serait vite réglé.
Sur un geste de la part de Dogmaël, la cavalerie de l'Ouest, qui jusqu'ici s'était tenue en retrait, donna l'assaut, menée par son roi en personne. Les cavaliers se jetèrent à corps perdu dans la bataille, piétinant tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin et taillant dans la masse sans faire grande différence sur qui se trouvait sous leurs armes. Les soldats ennemis comme alliés refluèrent dans le plus grand désordre, pas assez rapidement toutefois pour certains. Contrairement à eux, Killian repéra immédiatement ces adversaires qui pourraient lui fournir un combat plus conséquent, et entreprit de se diriger vers eux. Avant qu'il atteigne sa cible, pourtant, il se produisit un mouvement sur le champ de bataille. Suivant les instructions qui leur avaient été données, les troupes s'écartèrent pour laisser passer la cavalerie de l'Est. Comme son homologue de l'Ouest, Elric conduisait la charge. Dogmaël eut un sourire moqueur devant l'action désespérée d'une troupe bien inférieure en nombre, et chargea sur cette cible bien plus intéressante qu'une bande de soldats à pied, suivi par ses cavaliers.
Le choc fut terrible, et plusieurs cavaliers furent désarçonnés ou tués sur le coup. Hélios faillit tomber lui aussi, mais ses réflexes lui permirent de rétablir son équilibre. Un coup de lance bien placé lui permit d'éliminer un soldat qui s'approchait un peu trop de lui. Voyant qu'Eckhart s'était écarté d'Elric à la poursuite d'un ennemi, il se porta à ses côtés. Le roi se défendait plus qu'honorablement, et un ailier n'était pas particulièrement nécessaire, mais le cavalier ne pouvait empêcher un mauvais pressentiment. Qui d'ailleurs se confirma très vite. Dogmaël vit le duo qui avait réussi à faire place nette autour de lui, et chargea droit sur eux, la hache déjà levée et prête à asséner le coup fatal. Effrayés par cette vision, Elric et Hélios tournèrent bride et firent demi-tour. Les autres cavaliers, voyant leur roi battre en retraite, firent de même. Ce n'était pas du goût du Roi-Sorcier, qu'il évite le combat. Tuer Elric, un gamin sans grande expérience, voulait dire désorganiser facilement l'armée de l'Est suffisamment pour l'écraser facilement, malgré la présence des trois maîtres d'armes qui dévastaient son armée. Il se lança donc à la poursuite de sa proie.
C'était exactement ce que Malikaï avait prévu. La cavalerie de l'Est n'était pas de taille à résister plus de quelques assauts à celle de l'Ouest, et les envoyer au combat revenait à les envoyer à la mort. Mais avec Elric à leur tête, Dogmaël ne résisterait pas à l'appât d'une victoire facile. Celui qui avait fait de son pays l'aurait pu, il se serait rendu compte qu'il y avait anguille sous roche et se serait méfié, mais l'homme que la guerre avait consumé était aveuglé par son envie de conquête et de vengeance, et il se rendit compte trop tard du piège dans lequel il venait de tomber. Mais c'était déjà trop tard. Le Roi-Sorcier et ses cavaliers poursuivaient la cavalerie de l'Est le long d'un affleurement rocheux en bordure du champ de bataille, contre lequel ils pensaient l'avoir acculée. Ils étaient sur le point de les rattraper, Dogmaël levait déjà sa hache dans l'impatience de porter le coup fatal, quand la paroi rocheuse au-dessus d'eux, minée par des sortilèges soigneusement calibrés, explosa. D'énormes quartiers rocheux s'abattirent sur les cavaliers et écrasèrent humains et montures. Ceux qui furent assez chanceux ou adroits pour éviter l'avalanche furent criblés d'éclats rocheux qui sectionnèrent membres et artères. L'arrière du groupe fut épargné, mais les chevaux, effrayés par les explosions et la chute des pierres, prirent la fuite. Dogmaël évita de justesse un bloc de roche particulièrement large, mais les pattes de sa monture furent balayées par les éboulis, et il fut désarçonné. Il roula au sol, et malgré le poids de son armure, se releva immédiatement, la hache toujours à la main. Tous les soldats autour, les siens comme ses ennemis, reculèrent comme ils l'avaient fait devant la charge de l'Ouest. Le Roi-Sorcier avisa ceux qui l'entouraient et le regardaient avec frayeur, à l'exception de Killian qui se frayait un chemin dans la masse pour parvenir jusqu'à lui, alléché par la perspective d'un beau combat, et repéra, non loin, celui qui tomberait le premier sous sa lame.
Meven était très occupé à tenter de donner le coup de grâce à un soldat particulièrement hargneux, quand un sentiment de danger imminent l'obligea à se retourner. Juste à temps pour éviter une lame de hache gigantesque qui menaçait de le couper en deux d'un bond. Malheureusement pour lui, son premier ennemi n'avait pas l'air disposé à abandonner sa victime, même à son roi, et attaqua à nouveau. Il allait poignarder l'assassin qui ne pouvait pas reculer, quand une masse humaine lancée à pleine vitesse le heurta de toutes ces forces, détournant suffisamment le coup pour permettre à sa cible d'esquiver l'attaque du Roi-Sorcier. Pervenche reprit son équilibre, maudissant ses réflexes qui l'avaient poussé à heurter l'autre du côté de son bras blessé, et profita de son avantage pour planter son épée dans la gorge de l'autre. Meven évita un nouveau coup de hache, et elle se porta à son côté pour faire face au Roi-Sorcier. Il lui marmonna :
- Bien joué, jeune fille, mais c'était un pari risqué, non ?
Elle hésita entre lui répondre et lui mettre un coup de pied, mais ce n'était pas vraiment l'endroit où le moment. Heureusement pour eux, les autres soldats avaient l'air de craindre leur maître autant que leurs ennemis, si pas plus, et se tenaient à l'écart, laissant une zone dégagée au centre de laquelle ils se tenaient tous les trois. Le Roi-Sorcier les toisa de toute sa hauteur, un rictus hautain aux lèvres. Il observa d'abord l'assassin, puis la mercenaire, et remarqua d'un ton presque plaisant :
- Comme on se retrouve, n'est-ce pas ? N'avons-nous pas un compte à régler ?
Pervenche aurait bien répondu par une moquerie bien sentie, voire une suggestion d'où il pouvait se mettre ses politesses, mais elle se rendit compte que l'angoisse lui bloquait complètement la gorge. Dogmaël s'en rendit compte, et son sourire s'élargit. Il allait se jeter sur eux, quand Killian, ayant enfin réussi à éliminer les soldats stupides qui s'obstinaient à faire obstacle entre lui et sa cible, vint se placer à côté d'eux. Il jeta un regard moyennement méprisant à Pervenche et Meven, et remarqua :
- Vous n'avez pas intérêt à tenter de me tenir à l'écart de ce combat. Il est pour moi. Je veux bien partager, mais...
- Killian Lame-Rouge, l'interrompit le Roi-Sorcier. C'est une grande joie de vous voir vous mêler à nous. Serai-je donc celui qui mettra fin à votre règne ? Si je puis m'exprimer ainsi, bien sûr.
Le maître d'armes se contenta de sourire, affichant une expression de prédateur à faire froid dans le dos, et leva sa lame. Gillan et Krile le rejoignirent, les vêtements éclaboussés de sang, mais quelque chose disait que ce n'était pas le leur. Dogmaël ne cilla pas, même en voyant le nombre de ses ennemis augmenter. Il fit un geste, et surgissant du chaos environnant, son assistant vint se placer à ses côtés dans un grand mouvement de cape dramatique. Dans l'obscurité de son capuchon, ses yeux brillaient d'un éclat glacial. Il tendit immédiatement le bras vers l'ennemi le plus proche, Meven, avec une rapidité confondante, mais au moment où il allait toucher sa proie (et probablement lui casser le bras d'une seule main), une boule de feu surgie de nulle part passa à quelques centimètres, mettant le feu à sa cape. L'homme étrange recula d'un bond et éteignit les flammes qui le menaçaient. Tous se tournèrent comme un seul homme vers l'origine du sort. Comme au moment décisif d'un conte de fées, un cheval blanc franchit les lignes ennemies et atteignit l'espace dégagé où se préparait le combat. Ewan était juché sur son dos, les mains serrées sur les rênes. Derrière lui, Sigrid s'accrochait à sa taille, son bâton de soin fermement brandi et prêt à l'action. Ils sautèrent de leur monture plus qu'ils en descendirent, et vinrent se joindre au petit groupe. Pervenche commençait tout doucement à se demander si Lucillien allait surgir sur le dos de Siran, ou quelque chose du genre, quand les troupes autour d'eux s'écartèrent, laissant le passage à l'individu en armure qui se tenait aux côtés de Dogmaël au début de la bataille vint reprendre sa place près de son roi. Dans ses poings, il serrait ses deux haches.
Les deux groupes s'affrontèrent du regard un long moment, immobiles et tendus. Tout autour d'eux, le combat faisait rage, mais l'espace qui les entourait semblait plongé dans un silence assourdissant. Dogmaël finit par rompre leur immobilité. Il leva sa hache vers ceux qui s'opposaient à eux, et annonça :
- Vous m'avez suffisamment gênés, mercenaires, maîtres d'armes. Je vais vous faire disparaître.
Bien trop vite, vint l'heure de se joindre au reste de l'armée, dans la plaine ronde choisie comme champ de bataille. Malikaï les avait intégrés à sa stratégie, et avait pris soin de leur attribuer à chacun une place dans les rangs en fonction de leurs compétences. Il leur communiqua leurs affectations d'une voix qui tremblait, et leur souhaita bon courage. Lucillien resta en arrière avec lui, ses convictions lui interdisant formellement de prendre les armes. Il promit de prier pour eux jusqu'à ce qu'ils reviennent en vie. Sigrid protesta qu'elle aurait voulu se mêler au combat et qu'une soigneuse ne servait à rien si elle n'était pas au sein du combat pour soigner, mais Ewan lui fit remarquer qu'elle avait beau manier son bâton de soin avec une adresse et une violence rare, elle ne ferait pas long feu au milieu du combat. Elle dut bien admettre qu'il avait raison et se contenta de râler et de maudire Dogmaël et ses idées idiotes de guerre. Il lui tapota le bras d'un geste maladroit et alla se poster avec les autres mages et les archers, en hauteur. Hélios se mêla à la cavalerie, où on lui fournit une monture appropriée. Il aurait été bien plus à l'aise avec Siran, mais un seul wyvern volant au-dessus du champ de bataille aurait été une cible plus que facile pour les archers ennemis. Il se contenta donc d'un cheval, en priant pour que le changement ne le déconcentre pas au moment crucial. Pervenche, Meven, Killian et Gillan rejoignirent les fantassins. L'assassin avait échangé ses couteaux contre une épée qu'il soupesait. Quand Pervenche le regarda, il lui assura qu'il avait suffisamment d'expérience avec ça pour botter les fesses de n'importe qui sans aucun problème. La mercenaire n'insista pas, mais sa bonne humeur forcée avait quelque chose de sinistre. Étonnamment, Krile la conseillère vint les rejoindre. Elle n'accorda à son frère qu'un signe de tête froid, auquel il répondit par un sourcil levé, puis les deux s'ignorèrent au profit de l'armée adverse.
Ils n'eurent pas longtemps à attendre. Comme par un fait exprès, en même temps que le soleil pointait derrière eux, l'armée de l'Ouest fit son apparition. Un murmure courut parmi les rangs. L'armée ennemie avait l'air nombreuse, plus nombreuse qu'eux, et lourdement armée. Fantassins, archers, cavalerie, comme pour l'armée de l'Ouest. Il devait probablement y avoir des mages parmi eux également, on ne pouvait pas en attendre moins d'un dirigeant comme le Roi-Sorcier, il fallait juste espérer qu'ils ne soient pas aussi puissants que lui. Pervenche fut un peu rassurée qu'ils n'avaient pas de dragon, de trolls géants ou d'immenses animaux de combat. Sur ce point, au moins, les légendes mentaient, mais c'était bien la seule chose un tant soi peu rassurante qu'il y avait là-dedans.
A la tête de l'armée ennemie chevauchaient trois personnes. Deux d'entre elles portaient une armure complète, la troisième était enveloppée dans une cape dont le capuchon dissimulait le visage. Ce n'était pas difficile de reconnaître Dogmaël dans l'une des deux silhouettes caparaçonnées de métal. Même si la visière de son heaume avait été baissée, il aurait été reconnaissable que par sa haute taille. L'individu qu'il avait présenté comme son assistant se tenait respectueusement en retrait, et même d'où elle était, Pervenche pouvait sentir ses yeux de chat sans âme se promener sur l'armée, à la recherche d'elle ne savait trop quoi. La troisième personne, par contre, pas moyen d'identifier quoi que ce soit. L'armure était simple, sans signe distinctif, et son heaume cachait entièrement son visage. Sans doute un officier, un commandant en second, ou quelque chose. Malikaï n'avait jamais mentionné personne chargé de diriger cette armée avec Dogmaël, peut-être n'était-il même pas au courant de son existence. Dans ce cas, cette nouvelle personne, qui devait être vraiment puissante pour chevaucher comme un égal au côté du Roi, risquait fort de faire pencher la balance en leur faveur, si le fait qu'ils soient supérieurs en nombre ne s'en chargeait pas.
En face, Elric faisait un peu pâle figure, à la tête de ses propres troupes. Ce n'était pas très étonnant, il ne régnait pas depuis assez longtemps pour avoir connu la guerre, et c'était sa première bataille, qui plus est face à un dirigeant, sinon deux, qui avaient bien plus d'expérience dans le domaine que lui. Néanmoins, il resta digne et droit là où il était, et fut rejoint par Eckhart et Lasérian, qui se tinrent à ses côtés. Des hérauts furent envoyés, comme le voulait la coutume, afin de négocier une éventuelle trêve, bien que personne n'en ait grand espoir. Les discussions furent brèves, dans un silence qui ne faisait rien pour alléger la tension qui régnait, et comme chacun s'y attendait, ne débouchèrent sur rien. A vrai dire, personne même ne s'attendait à ce que les hérauts ne reviennent sains et saufs dans leurs camps, ce qui aurait certainement précipité les choses, mais il restait encore un brin de courtoisie de part et d'autre, et ils furent épargnés.
Pendant un long moment, il ne se passa rien. Les soldats s'agitaient, les chevaux piétinaient, personne ne faisait mine d'attaquer ou de battre en retraite. A la surprise générale, ce fut le second de Dogmaël qui le premier leva le bras, donnant ainsi le signal du début de l'assaut. Les archers de l'Ouest encochèrent leurs flèches, que les mages à leurs côtés enflammèrent. Un son discordant, comme celui d'un millier de harpes, résonna quand les cordes furent lâchées. Les traits fendirent l'air en lignes de lumière, décrivant une courbe gracieuse et mortelle vers l'armée de l'Est. C'était compter sans les mages que Malikaï avait judicieusement placés autour du champ de bataille. Ils levèrent les mains, l'air au-dessus du champ de bataille ondula, les flèches ralentirent, comme si quelque chose s'opposait à leur chute mortelle. Privées de leur vitesse initiale, elles tombèrent comme une pluie sur les soldats en-dessous, qui n'eurent pas grand mal à éteindre les flammes avant qu'elles ne fassent de victimes. Immédiatement après, les archers de l'Est répondirent par une volée de leurs propres flèches. Elles n'étaient pas enflammées, mais les efforts pour les stopper furent moins couronnés de succès, et elles touchèrent davantage de cibles. Par chance, les mages de l'Ouest n'étaient pas autant préparés à ça, ou peut-être moins nombreux, mais l'avantage n'allait pas durer bien longtemps. Sur un signe d'Elric, les fantassins se mirent en marche, suivis par les mages qui maintenaient leur bouclier. Pervenche et les autres suivirent le mouvement. Les flèches sifflaient autour d'eux, avec une force renouvelée. Le fait de marcher portait préjudice à leur concentration, et affaiblissait d'autant la protection qu'ils offraient. Les traits enflammés devenaient une menace qu'il fallait prendre en compte. De leur côté, les mages de l'Ouest prenaient exemple sur leurs adversaires, protégeant les troupes à l'aide de boucliers magiques, ce qui les empêchait d'enflammer toutes les flèches envoyées par leurs archers, rendant leurs attaques un peu moins dangereuses.
Ils rencontrèrent les fantassins adverses au centre de la plaine, et entamèrent immédiatement le combat. Pervenche eut un instant peur de rester pétrifiée par la terreur qui lui rongeait le crâne et de ne pas réussir à défendre chèrement sa vie, formant ainsi une cible facile pour le premier venu. Un ennemi avança vers elle, un choc, peut-être par la main de Meven, elle ne savait pas trop, la fit avancer, et plus par automatisme que par réelle envie de tuer, elle passa son épée au travers du corps qui lui faisait face, juste avant qu'il ne décide de se débarrasser d'elle. Elle ne prit pas le temps de le regarder tomber, ou de laisser l'information la préoccuper trop avant. Ce n'était pas le moment. Ce qui comptait, c'était d'éliminer tous ceux qui se trouvaient sur son chemin, sans laisser ceux autour d'elle l'attaquer par derrière. C'était aussi éloigné du combat en salle qu'on pouvait l'imaginer, mais rien, aucun entraînement, n'aurait pu la préparer à ça. Ce n'était plus un jeu, ce n'était plus une aventure de roman grandiloquent, c'était défendre chèrement sa vie. Et c'était ce qu'elle faisait, frappant, parant, taillant dans la masse. Etant donné la mêlée sans nom qui avait lieu au centre de la plaine, les archers avaient cessé leurs tirs, c'était déjà une menace dont elle n'avait pas à se soucier. Par contre, les mages s'étaient du coup joint au combat au corps-à-corps, et ils n'étaient pas à prendre par-dessus la jambe. Heureusement pour elle, ses connaissances en magie, aussi basiques étaient-elles, lui permettaient de se défendre contre eux. Une lame lui entailla le bras près de l'épaule, elle répondit par un juron très imagé et se débarrassa de celui qui l'avait blessée. Heureusement, ce n'était pas grand-chose, même si elle aillait devoir compter surtout sur son autre main pour se battre. Une esquive, un coup sec à un ennemi mage pour rompre sa concentration et stopper son sort dans l’œuf, suivi d'un revers d'épée rapide, un éclair de magie lumineuse pour en aveugler un autre, planter l'épée, la retirer en s'aidant du pied, recommencer... Elle s'obligeait à décomposer les actions dans son esprit, comme si ce n'était qu'une séance d'entraînement comme elle en avait fait des centaines, ça lui évitait de penser à ce qu'elle était en train de faire, aux gens qu'elle était en train de tuer. Elle se demanda si c'était le cas pour les autres aussi, s'ils avaient des scrupules, ou si, pour eux, l'acte de tuer était devenu un automatisme dont ils n'avaient pas à se préoccuper. Mais ses camarades étaient des gens de guerre, ils devaient avoir l'habitude.
Un coup d’œil très rapide sur sa gauche lui apprit que Meven était fort occupé à tuer tous ceux qui passaient à portée de sa lame, fantassins ou mages, avec une facilité déconcertante. Du peu qu'elle vit, il n'était pas blessé. Ce n'était pas difficile de repérer Krile, Gillan et Killian. Les trois maîtres d'armes se taillaient un passage dans la masse de leurs adversaires aussi facilement qu'à travers un champ de blé, et les soldats faisaient de leur mieux pour les éviter. Sans grand résultat. Pendant un instant, Pervenche se dit qu'avec de telles machines à tuer dans leur camp, il se pourrait qu'au moins cette partie de la bataille se déroulerait en leur faveur. Mais cette lueur d'espoir ne dura pas longtemps. Alors qu'elle éliminait un individu particulièrement hargneux, et qu'elle évitait de justesse un second qui tentait de profiter que son attention soit détournée, elle vit que l'individu en armure qui se tenait auparavant au côté de Dogmaël avait abandonné son cheval pour se mêler aux fantassins. Contrairement aux maîtres d'armes, il n'utilisait pas d'épée, mais deux haches au manche court qu'il maniait avec une violence rare. Heureusement pour la mercenaire, il se tenait à une distance appréciable d'elle, et elle pourrait tenter de se frayer un chemin en sens inverse. En attendant, le combat continuait, et elle ferait mieux de se concentrer sous peine de se faire tuer. Elle se débarrassa d'un nouveau soldat d'un revers de lame particulièrement vicieux et passa au suivant.
L'évolution du combat n'était pas du tout du goût de Dogmaël, semblait-il. Ce qui s'annonçait comme une victoire facile contre une armée inférieure en nombre, dirigée par un roi qui n'y connaissait à peu près rien, traînait en longueur. Il y avait une toute petite chance que les choses ne tournent pas en faveur de l'armée de l'Ouest comme prévu. Mais personne n'aurait pu prévoir la présence non seulement de Killian le Chien de Guerre, mais également d'une élève aussi mortelle que lui et de sa sœur. Tous les trois représentaient une force non négligeable. Mais ce n'était qu'un petit inconvénient qui serait vite réglé.
Sur un geste de la part de Dogmaël, la cavalerie de l'Ouest, qui jusqu'ici s'était tenue en retrait, donna l'assaut, menée par son roi en personne. Les cavaliers se jetèrent à corps perdu dans la bataille, piétinant tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin et taillant dans la masse sans faire grande différence sur qui se trouvait sous leurs armes. Les soldats ennemis comme alliés refluèrent dans le plus grand désordre, pas assez rapidement toutefois pour certains. Contrairement à eux, Killian repéra immédiatement ces adversaires qui pourraient lui fournir un combat plus conséquent, et entreprit de se diriger vers eux. Avant qu'il atteigne sa cible, pourtant, il se produisit un mouvement sur le champ de bataille. Suivant les instructions qui leur avaient été données, les troupes s'écartèrent pour laisser passer la cavalerie de l'Est. Comme son homologue de l'Ouest, Elric conduisait la charge. Dogmaël eut un sourire moqueur devant l'action désespérée d'une troupe bien inférieure en nombre, et chargea sur cette cible bien plus intéressante qu'une bande de soldats à pied, suivi par ses cavaliers.
Le choc fut terrible, et plusieurs cavaliers furent désarçonnés ou tués sur le coup. Hélios faillit tomber lui aussi, mais ses réflexes lui permirent de rétablir son équilibre. Un coup de lance bien placé lui permit d'éliminer un soldat qui s'approchait un peu trop de lui. Voyant qu'Eckhart s'était écarté d'Elric à la poursuite d'un ennemi, il se porta à ses côtés. Le roi se défendait plus qu'honorablement, et un ailier n'était pas particulièrement nécessaire, mais le cavalier ne pouvait empêcher un mauvais pressentiment. Qui d'ailleurs se confirma très vite. Dogmaël vit le duo qui avait réussi à faire place nette autour de lui, et chargea droit sur eux, la hache déjà levée et prête à asséner le coup fatal. Effrayés par cette vision, Elric et Hélios tournèrent bride et firent demi-tour. Les autres cavaliers, voyant leur roi battre en retraite, firent de même. Ce n'était pas du goût du Roi-Sorcier, qu'il évite le combat. Tuer Elric, un gamin sans grande expérience, voulait dire désorganiser facilement l'armée de l'Est suffisamment pour l'écraser facilement, malgré la présence des trois maîtres d'armes qui dévastaient son armée. Il se lança donc à la poursuite de sa proie.
C'était exactement ce que Malikaï avait prévu. La cavalerie de l'Est n'était pas de taille à résister plus de quelques assauts à celle de l'Ouest, et les envoyer au combat revenait à les envoyer à la mort. Mais avec Elric à leur tête, Dogmaël ne résisterait pas à l'appât d'une victoire facile. Celui qui avait fait de son pays l'aurait pu, il se serait rendu compte qu'il y avait anguille sous roche et se serait méfié, mais l'homme que la guerre avait consumé était aveuglé par son envie de conquête et de vengeance, et il se rendit compte trop tard du piège dans lequel il venait de tomber. Mais c'était déjà trop tard. Le Roi-Sorcier et ses cavaliers poursuivaient la cavalerie de l'Est le long d'un affleurement rocheux en bordure du champ de bataille, contre lequel ils pensaient l'avoir acculée. Ils étaient sur le point de les rattraper, Dogmaël levait déjà sa hache dans l'impatience de porter le coup fatal, quand la paroi rocheuse au-dessus d'eux, minée par des sortilèges soigneusement calibrés, explosa. D'énormes quartiers rocheux s'abattirent sur les cavaliers et écrasèrent humains et montures. Ceux qui furent assez chanceux ou adroits pour éviter l'avalanche furent criblés d'éclats rocheux qui sectionnèrent membres et artères. L'arrière du groupe fut épargné, mais les chevaux, effrayés par les explosions et la chute des pierres, prirent la fuite. Dogmaël évita de justesse un bloc de roche particulièrement large, mais les pattes de sa monture furent balayées par les éboulis, et il fut désarçonné. Il roula au sol, et malgré le poids de son armure, se releva immédiatement, la hache toujours à la main. Tous les soldats autour, les siens comme ses ennemis, reculèrent comme ils l'avaient fait devant la charge de l'Ouest. Le Roi-Sorcier avisa ceux qui l'entouraient et le regardaient avec frayeur, à l'exception de Killian qui se frayait un chemin dans la masse pour parvenir jusqu'à lui, alléché par la perspective d'un beau combat, et repéra, non loin, celui qui tomberait le premier sous sa lame.
Meven était très occupé à tenter de donner le coup de grâce à un soldat particulièrement hargneux, quand un sentiment de danger imminent l'obligea à se retourner. Juste à temps pour éviter une lame de hache gigantesque qui menaçait de le couper en deux d'un bond. Malheureusement pour lui, son premier ennemi n'avait pas l'air disposé à abandonner sa victime, même à son roi, et attaqua à nouveau. Il allait poignarder l'assassin qui ne pouvait pas reculer, quand une masse humaine lancée à pleine vitesse le heurta de toutes ces forces, détournant suffisamment le coup pour permettre à sa cible d'esquiver l'attaque du Roi-Sorcier. Pervenche reprit son équilibre, maudissant ses réflexes qui l'avaient poussé à heurter l'autre du côté de son bras blessé, et profita de son avantage pour planter son épée dans la gorge de l'autre. Meven évita un nouveau coup de hache, et elle se porta à son côté pour faire face au Roi-Sorcier. Il lui marmonna :
- Bien joué, jeune fille, mais c'était un pari risqué, non ?
Elle hésita entre lui répondre et lui mettre un coup de pied, mais ce n'était pas vraiment l'endroit où le moment. Heureusement pour eux, les autres soldats avaient l'air de craindre leur maître autant que leurs ennemis, si pas plus, et se tenaient à l'écart, laissant une zone dégagée au centre de laquelle ils se tenaient tous les trois. Le Roi-Sorcier les toisa de toute sa hauteur, un rictus hautain aux lèvres. Il observa d'abord l'assassin, puis la mercenaire, et remarqua d'un ton presque plaisant :
- Comme on se retrouve, n'est-ce pas ? N'avons-nous pas un compte à régler ?
Pervenche aurait bien répondu par une moquerie bien sentie, voire une suggestion d'où il pouvait se mettre ses politesses, mais elle se rendit compte que l'angoisse lui bloquait complètement la gorge. Dogmaël s'en rendit compte, et son sourire s'élargit. Il allait se jeter sur eux, quand Killian, ayant enfin réussi à éliminer les soldats stupides qui s'obstinaient à faire obstacle entre lui et sa cible, vint se placer à côté d'eux. Il jeta un regard moyennement méprisant à Pervenche et Meven, et remarqua :
- Vous n'avez pas intérêt à tenter de me tenir à l'écart de ce combat. Il est pour moi. Je veux bien partager, mais...
- Killian Lame-Rouge, l'interrompit le Roi-Sorcier. C'est une grande joie de vous voir vous mêler à nous. Serai-je donc celui qui mettra fin à votre règne ? Si je puis m'exprimer ainsi, bien sûr.
Le maître d'armes se contenta de sourire, affichant une expression de prédateur à faire froid dans le dos, et leva sa lame. Gillan et Krile le rejoignirent, les vêtements éclaboussés de sang, mais quelque chose disait que ce n'était pas le leur. Dogmaël ne cilla pas, même en voyant le nombre de ses ennemis augmenter. Il fit un geste, et surgissant du chaos environnant, son assistant vint se placer à ses côtés dans un grand mouvement de cape dramatique. Dans l'obscurité de son capuchon, ses yeux brillaient d'un éclat glacial. Il tendit immédiatement le bras vers l'ennemi le plus proche, Meven, avec une rapidité confondante, mais au moment où il allait toucher sa proie (et probablement lui casser le bras d'une seule main), une boule de feu surgie de nulle part passa à quelques centimètres, mettant le feu à sa cape. L'homme étrange recula d'un bond et éteignit les flammes qui le menaçaient. Tous se tournèrent comme un seul homme vers l'origine du sort. Comme au moment décisif d'un conte de fées, un cheval blanc franchit les lignes ennemies et atteignit l'espace dégagé où se préparait le combat. Ewan était juché sur son dos, les mains serrées sur les rênes. Derrière lui, Sigrid s'accrochait à sa taille, son bâton de soin fermement brandi et prêt à l'action. Ils sautèrent de leur monture plus qu'ils en descendirent, et vinrent se joindre au petit groupe. Pervenche commençait tout doucement à se demander si Lucillien allait surgir sur le dos de Siran, ou quelque chose du genre, quand les troupes autour d'eux s'écartèrent, laissant le passage à l'individu en armure qui se tenait aux côtés de Dogmaël au début de la bataille vint reprendre sa place près de son roi. Dans ses poings, il serrait ses deux haches.
Les deux groupes s'affrontèrent du regard un long moment, immobiles et tendus. Tout autour d'eux, le combat faisait rage, mais l'espace qui les entourait semblait plongé dans un silence assourdissant. Dogmaël finit par rompre leur immobilité. Il leva sa hache vers ceux qui s'opposaient à eux, et annonça :
- Vous m'avez suffisamment gênés, mercenaires, maîtres d'armes. Je vais vous faire disparaître.