Chapitre 29
Le vent d'hiver soufflait sans relâche sur Altea, sifflant entre les tours du château, et poussait des paquets de neige contre les murs et les fenêtres. Depuis le début de la journée, les flocons s'accumulaient dans les rues, formant des congères qui avaient fini par rendre les déplacements difficiles. Avec la nuit tombée, tous les gens sensés restaient calfeutrés chez eux à l'abri, il aurait fallu être fou pour affronter ce qui semblait être la pire tempête de la région depuis longtemps. Et pourtant, une silhouette solitaire remontait la rue principale de la ville. Cette personne assez courageuse ou assez inconsciente pour affronter ce temps ne prêtait aucune attention aux fenêtres éclairées par des bougies, et avançait avec une apparente facilité sur les pavés couverts d'une épaisse couche blanche, sans jamais glisser le moins du monde. En voyant cette étrange personne approcher du château, les jeunes recrues malchanceuses qui avaient été désignées pour monter la garde par cette nuit d'hiver empoignèrent leurs armes. A travers le rideau de neige, c'était difficile de distinguer qui approchait, un ennemi, peut-être même un monstre ! Mais la personne avança dans la lumière d'une des torches accrochées à l'abri, et ils la reconnurent. Les instructions étaient claires, il fallait la laisser passer. Elle entra dans la cour du château, mettant au passage une petite tape d'encouragement sur l'épaule du plus grand. De là, elle pataugea à travers les bancs de neige jusqu'à l'entrée proprement dite.
L'ouverture de la lourde porte provoqua un courant d'air qui amena une quantité impressionnante de flocons à l'intérieur. La nouvelle arrivante s'empressa d'entrer et de la refermer. Déjà, une mare d'eau se formait autour de ses bottes. Elle s'empressa d'ôter la cape et de la mettre à sécher près du feu dans la cheminée. Il y avait des fauteuils, devant cette cheminée, des fauteuils qui avaient l'air confortables. Elle s'empressa de se laisser tomber dedans et étendit ses pieds vers le feu avec un grognement de bonheur très peu féminin, mais c'était bien le cadet de ses soucis. Elle resta ainsi un bon moment, et peut-être s'endormit-elle un moment, elle ne savait pas trop, mais quand elle leva les yeux, Cecil était debout à côté d'elle. Il ajusta son monocle et dit avec un sourire :
- Dame Pervenche, cela faisait longtemps, n'est-ce pas ?
- Juste deux mois. Me dis pas que je t'ai manqué, la dernière fois que j'étais là, tu as passé tout ton temps le nez dans un bouquin et tu n'as même pas réagi quand j'ai failli mordre Lasérian.
- Moi non, sans vouloir vous vexer, répondit-il avec un léger rire en la voyant lui faire une grimace. Mais surtout, je crois que quelqu'un que nous connaissons bien tous les deux serait très content de vous savoir revenue. Voulez-vous que j'aille le prévenir ?
- Je peux y aller moi-même, tu sais, je commence à connaître le coin.
Elle allait se lever, mais il l'arrêta d'une main posée sur son bras.
- Notre stratège est occupé avec le roi, en ce moment. Ce ne serait peut-être pas une si bonne idée d'aller le déranger, il n'est pas de très bonne humeur...
- Et étant donné qu'il ne voit pas d'un très bon œil que je vienne débarquer dans ses réunions pour lui voler son stratège... Il vaut mieux que j'attende ici, n'est-ce pas ?
- Je crois, en effet.
Elle se renfonça dans son fauteuil, faisant de son mieux pour ne pas faire la moue comme une gamine, et regarda Cecil remonter les escaliers. Elle avait très envie de voir Malikaï et de l'embêter un peu, ou de discuter avec lui, ou les deux, mais elle n'avait pas vraiment envie d'énerver Elric alors qu'elle venait à peine de revenir au château. Il serait capable de la jeter dehors avec un coup de pieds aux fesses, mercenaire ayant combattu Dogmaël ou pas. Depuis quelques temps, le roi de l'Est se comportait étrangement avec elle, il avait une nette tendance à lui grogner après, parfois pour rien. Mais quand on lui demandait pourquoi exactement il se comportait ainsi (Pervenche, Malikaï, Cecil et Krile avaient tous remarqué qu'il y avait quelque chose de bizarre), il affirmait qu'il n'y avait strictement rien et que tout allait très bien, merci. Pervenche avait donc fait de son mieux pour avoir une conduite correcte et ne pas se faire expulser, et elle s'était même installée dans une auberge convenable. Mais elle n'allait pas renoncer à venir distraire Malikaï, il aimait bien quand elle venait le voir, ça lui faisait du bien de la voir, et elle aimait bien. Tant pis, Elric grognerait. Mais elle ne lui donnerait pas de raisons supplémentaires de grogner. Il ne lui restait donc plus qu'à attendre.
Une heure passée à rêvasser plus tard, elle entendit un bruit de pas différent de celui des serviteurs et autres soldats qui passaient dans son dos. Un double bruit, même. L'un des deux était décidé, celui de quelqu'un portant des bottes avec des parements de métal. Un pas qu'elle avait fini par associer à Elric. Pas très intéressant. L'autre, par contre, était léger, hésitant, et pas tout à fait synchronisé avec l'autre. Celui-ci, par contre, c'était le pas de Malikaï. Elle se leva, et en effet, le stratège était là, accroché au bras de son ami, emmitouflé dans une cape au col en fourrure trop grande. C'était adorable. Pervenche le rejoignit en trois enjambées, et sans faire de manières, le captura pour le gratifier d'un câlin d'ours. Elric s'attendait à voir son stratège paniquer, il détestait qu'on envahisse son espace vital surtout d'une personne qui ne s'annonçait pas. Au lieu de ça, Malikaï se contenta d'un léger rire et se laissa soulever, puis reposer. Il leva la main, effleura ses cheveux, puis les longues lignes de perles accrochées à son oreille et demanda :
- Elles sont nouvelles ?
- Hmm-hmm. Petite folie. Comment ça va ?
- Il fait froid, répondit-il simplement. Comment s'est passé son voyage ?
Elric se racla la gorge, bruyamment, pour attirer l'attention des deux qui avaient l'air de faire comme s'il n'était absolument pas là. Ils se tournèrent vers lui, et il remarqua :
- Si vous n'avez plus besoin de moi, je te le confie.
Pervenche acquiesça avec un grand sourire. Elric lui lança un regard d'avertissement, qu'elle ignora avec superbe pour reporter son attention sur Malikaï, et tourna les talons, se dirigeant vers ses appartements d'un pas qu'il espérait digne, même si être ignoré ainsi par son meilleur ami lui faisait un peu mal au cœur. Derrière lui, les deux s'installèrent dans les grands fauteuils, profitant de la bonne chaleur dispensée par les flammes. Malikaï écouta décroître les pas d'Elric, conscient que Pervenche devait être en train de le regarder et probablement d'étudier ce qu'il affichait éventuellement sur son visage, dont il n'avait peut-être pas conscience. Pour cacher sa gêne, il demanda, d'un ton qu'il espérait normal :
- Alors ? Comment s'est passé ton voyage ?
Pas de réponse, à se demander si elle l'avait entendu ou si elle ne s'était pas endormie. Il s'apprêta à répéter, quand elle répondit :
- C'était... eh bien, c'était agité.
- Agité ?
Le ton de sa réponse avait été curieusement hésitant. Ce n'était pas habituel. Pervenche n'était jamais hésitante, elle était bruyante et allait toujours droit au but. Quelque chose clochait, et il se demandait quoi. Il insista donc :
- Qu'est-ce que tu entends, par agité ?
Nouveau silence. Mauvais signe. Dans des cas pareils, il valait mieux attendre qu'elle parle. Et ça, il savait exactement le faire, il avait beaucoup d'entraînement avec une tête de mule comme Elric. Il s'installa donc plus confortablement dans son fauteuil, et laissa le silence l'entourer. Il entendait Pervenche bouger, comme si elle réfléchissait de manière particulièrement active, et c'est elle qui finit par rompre le silence :
- Je... suis retournée à Satoléa. Voir mes parents.
Voilà ce qui la perturbait. En quelques mois, le sujet de ses parents était venu sur le tapis, bien sûr, elle lui avait parlé de l'orfèvrerie, de l'assistant, de leurs plans pour son avenir. Il connaissait les relations complexes qu'il y avait entre eux.
- Et... comment l'ont-ils pris ? Demanda-t-il finalement.
- Eh bien... pas tellement bien.
- Pas tellement ? Pourquoi pas tellement ? Je veux dire...
- Je sais, coupa Pervenche, je leur ai raconté. J'ai raconté comment Dogmaël a déclaré la guerre... figure-toi qu'ils n'en avaient même pas entendu parler.
- Vraiment ?
- Vraiment. Bref, j'ai raconté comment ils ont envahi jusqu'à Mallemort, je... leur ai dit pour la disparition de l'ami d'enfance qui y vivait... Ils ne l'ont pas vraiment bien pris.
- C'est.... compréhensible, dit-il en faisant la grimace.
- Enfin... j'ai raconté comment on nous a envoyés tuer Dogmaël, et la bataille ensuite, et le combat épique.... j'ai même mimé les moments les plus importants. Ils étaient vraiment impressionnés.
- Oh ? Mais alors... ils étaient fiers de toi, non ?
- Bien sûr, au moins un peu.
- Alors... pourquoi ça a été agité ?
- Mon père a dit que c'était « impressionnant, mais pas le destin qu'il souhaitait pour sa fille unique ». D'après lui, c'est trop dangereux, et pas du tout un moyen de vivre sa vie. Et comme nous n'étions absolument pas d'accord sur ce point-là, puisque je trouve que c'est un moyen tout à fait honorable et intéressant de vivre sa vie, nous avons... eu des mots.
- Vous vous êtes disputés.
- Dis plutôt qu'on s'est presque jeté les meubles à la tête, ce serait plus juste. En plus, je ne suis pas tout à fait sûre que Clovis – son apprenti – ait renoncé à son idée de m'épouser et de reprendre la boutique du patron.
Les poings de Malikaï se crispèrent dans l'ombre de ses manches, mais son visage resta parfaitement impassible. Il espéra que Pervenche n'aurait rien remarqué. Malheureusement pour lui, elle semblait toujours se rendre compte de quelque chose en ce qui le concernait. Mais elle ne fit pas de remarque. A la place, elle continua :
- En bref, je suis une fille indigne qui ne vit pas comme mes parents voulaient que je vive, je ne trouverai jamais un gentil mari, je n'aurai jamais une multitude d'enfants comme il convient à une jeune fille bien née, et si je ne rentre pas dans le droit chemin, ils nieront totalement que je suis de leur famille.
- Et... enfin comment... tu... ?
- T'en fais pas, répondit-elle d'un ton léger un peu forcé. C'est pas toi qui va m'arrêter.
- Mais...
- T'en fais pas, j'ai dit. C'est rien. Raconte-moi plutôt quelles catastrophes ont été causées par mes copains, et disons du mal sur Elric.
Le stratège s'empressa de protester qu'Elric était très gentil, et qu'il n'y avait aucun mal à dire sur lui, Les parents de Pervenche furent oubliés pour des sujets beaucoup plus distrayants.
A l'aube qui suivit, le château d'Altea dans son ensemble fut tiré de son lit par un vacarme à réveiller les morts, qui n'était pas sans évoquer un monstre s’ébattant sur le chemin de ronde. Comme les autres, Pervenche fit un bond de carpe et manqua tomber hors de son lit. Elle se rattrapa aux couvertures, passa la main dans ses cheveux, les ébouriffant encore plus que d'habitude (ce qui n'était pas peu dire), regarda dehors pour voir qui s'amusait à faire du bruit et à quelle heure. Malheureusement, la fenêtre était presque entièrement obstruée par la neige, lui donnant deux informations : un, le soleil s'était déjà levé, lui, mais pas depuis longtemps. Deux, ce qu'elle faisait ici au lieu d'être dans son auberge. Au moment de quitter le château, elle s'était rendu compte que les rues étaient maintenant complètement envahies par la neige. Même les gardes avaient battu en retraite à des postes plus abrités. Le retour à l'auberge aurait été bien trop difficile, il lui aurait fallu au moins une heure, et elle serait probablement arrivée à l'état de bloc de glace. Ce qui aurait bien fait rire les individus qu'elle connaissait là-bas, si du moins ils n'étaient pas partis vers des cieux plus cléments. Ce qu'elle aurait dû faire elle aussi, il faisait bien meilleur à Satoléa. Mais elle avait promis de revenir voir Malikaï.
En parlant du stratège, d'ailleurs, celui-ci, dès qu'il avait su pour la neige, avait insisté pour qu'elle ne rentre pas et ne se brise pas le cou dans une glissade incontrôlée. Ou qu'elle ne finisse pas dans le fleuve. Elle eut beau lui assurer qu'elle n'était pas Meven et qu'elle n'avait aucun cavalier pour la pousser à l'eau (le fait que ça lui soit arrivé n'avait pas vraiment étonné qui que ce soit), il n'avait pas voulu la laisser partir, et était allé jusqu'à s'accrocher à sa manche pour s'assurer qu'elle ne partirait pas. Elle avait fini par céder. En même temps, c'était difficile de refuser quelque chose à Malikaï, surtout que pour quelqu'un qui ne voyait pas, il maîtrisait particulièrement bien le regard du pauvre chaton abandonné sous la pluie. Elle avait donc accepté de passer la nuit au château, en s'attendant à ce que le regard d'Elric la poignarde dans le dos le lendemain matin, mais c'était habituel. Mais là, il n'allait pas se contenter d'un regard assassin, il allait la poignarder pour de bon. Parce que non seulement Malikaï avait insisté pour qu'elle reste, mais dans une démonstration très, très inhabituelle d'audace, il l'avait convaincue qu'il fallait absolument qu'elle dorme dans sa chambre, prétextant qu'à cette heure, elle n'aurait plus personne pour lui préparer un lit, et qu'elle devrait dormir sur une peau de bête devant sa cheminée éteinte, et que le lendemain, elle serait changée en glaçon. En plus, étant donné le froid qui régnait dans le château, surtout à certains endroits, le meilleur moyen de se protéger, c'était encore de partager le lit de quelqu'un pour se tenir mutuellement chaud. Pervenche ne savait pas exactement quand l'adorable petit stratège innocent qu'elle connaissait s'était transformé en génie du Mal, mais il fallait bien dire qu'il savait se montrer convainquant. Et qu'elle n'avait pas vraiment résisté de toute ses forces. Ce qui expliquait donc la présence de longs cheveux blancs tout autour d'elle dans le lit, et du stratège à qui ils appartenaient pelotonné sous les couvertures, encore endormi. Au moins, ils ne s'étaient pas réveillés collés l'un à l'autre, voilà qui aurait été déjà plus gênant. Même si ça aurait été... intéressant....
Pervenche s'étira, puis se décida à sortir du lit. L'air dans la chambre était glacial, et elle faillit retourner se mettre à l'abri. Mais puisque la journée avait commencé, autant aller voir ce qui se passait. Privé de sa chaleur, Malikaï grogna, et se redressa lui aussi. Il entendit le bruit que faisait Pervenche en se rhabillant (autant de métal, ça n'était pas très discret) et demanda, d'un ton encore ensommeillé :
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Aucune idée, répondit la mercenaire en se battant contre sa tunique qui était en train de gagner, je vais aller voir ce qui se passe.
- Tu crois que... C'est dangereux ?
Pervenche tendit l'oreille un moment, mais elle n'entendit plus rien, ou presque, à part quelques éclats de voix qu'elle ne connaissait pas. Elle s'assit sur le lit, tapota l'épaule de Malikaï.
- J'entends ni soldats, ni Elric, ni cris de guerre. Juste quelqu'un qui hurle. Ca doit pas être si grave. Mais pour une fois, c'est ni moi, ni mes copains, qui dérangeons Elric. Je pense que je vais aller jeter un coup d’œil, savoir ce qui se passe. Tu viens ?
Avec un bruit d'assentiment, Malikaï abandonna lui aussi la chaleur réconfortante du lit pour s'habiller. Pervenche savait depuis longtemps que lui proposer son aide ne servirait qu'à le mettre mal à l'aise, et il était de toute façon capable de se débrouiller tout seul, et elle se contenta donc d'attendre qu'il ait fini. Une fois ré-emmitoufflé dans sa cape à fourrure, ils sortirent de la chambre, et rejoignirent le hall, là où ils s'étaient installés la veille.
En effet, la source du chaos était bien là. Il y avait un groupe de personnes, le genre étrange, qui rappela à Pervenche la fois où son propre groupe de mercenaires avait débarqué dans le même hall. De la concurrence ? En tous cas, ils étaient étranges, au moins aussi étranges que ses amis. Sept personnes bizarres. Pervenche s'accouda à la rambarde de la galerie pour les regarder un peu mieux, et pour pouvoir les décrire à voix basse à Malikaï.
Il y avait là une femme aux longs cheveux dorés qui retombaient en boucles serrées sur se épaulettes en métal. Elle portait une longue robe à manches courtes, d'un rose un peu fané, fendue sur le côté. C'aurait été une tenue séduisante, et même aguichante, si elle ne portait pas un plastron en cuir dessus, des bottes aux pieds, et qu'une ceinture retenant deux épées ne ceignait pas sa taille. Elle se tenait bras croisés, et elle regardait le reste du groupe avec un regard qui paraissait être ennuyé, mais que Pervenche trouvait plutôt maternel, en fait.
A côté d'elle, il y avait une autre femme, habillée tout en noir : bottes éculées, pantalon serré, tunique à grand col, cape, et même, étrangement, une jupe en tissu épais qui s'arrêtait au genou. Sur ses cheveux noirs également, ondulés et vaguement coupés courts, elle portait un béret. Pervenche la rangea mentalement dans la catégorie des voleurs, assassins et autres. Ce n'était pas seulement la ressemblance avec Meven, le même style vestimentaire, c'était surtout la manière dont ses yeux tout aussi noirs que le reste se posaient autour d'elle, qu'elle regardait les issues, les soldats. Elle paraissait en alerte, sur les nerfs. Et quand elle n'observait pas son environnement, elle jetait des regards moyennement aimables sur l'un des autres individus du groupe.
Celui-ci, il était facilement identifiable. C'était un mage. Il n'y avait qu'à voir sa cape argentée et brillante qui semblait découpée dans un morceau de miroir, la robe blanche tachée de boue qu'il portait en-dessous. Son visage, c'était plus difficile. Il avait de longs cheveux blancs tout lisses, comme ceux de Meven mais encore plus clairs, qui retombaient devant son visage comme un rideau. Drôle de personnage. Il avait l'air surexcité, et il parlait sans arrête à la personne à côté de lui, qui avait l'air prêt à l'étrangler d'un instant à l'autre.
Si Pervenche devait coller une étiquette sur celui-ci, elle n'aurait peut-être pas deviné ce qu'il faisait dans le groupe (ou ne faisait pas), mais elle l'aurait désigné comme noble. Les traits étaient distingués, et son expression hautaine. Ses cheveux noirs et lissés sur son crâne clamaient sa noblesse, tout comme le regard distant de ses yeux bleu nuit, et à quel point il avait l'air agacé par l'exubérance de l'autre individu. Il était habillé comme lui, mais dans des teintes de bleu foncé et de noir, et les étoffes étaient de bien meilleure qualité. Peut-être un autre mage.
Deux des membres du groupe se tenaient à l'écart. Le plus grand n'avait pas une arme attachée dans le dos, comme on pouvait s'y attendre, mais un drôle d'instrument de musique à cordes, en partie couvert d'une housse, dont le manche dépassait. Mais on était bien loin de la dégaine d'Eilian. Lui, il était complètement ébouriffé et mal rasé. Ses cheveux châtains étaient coupés bizarrement... si on pouvait appeler ça coupés. Plutôt massacrés, et pourtant, Pervenche était mal placée pour critiquer. Mais au moins, il avait l'air plutôt sympathique.
Elle sursauta en reconnaissant celui qui se cachait à moitié derrière lui. Bien sûr, il y avait des centaines d'individus aux masses de cheveux noirs, grands, minces et silencieux, habillés comme des gens qui passaient beaucoup de temps sur les routes. Mais elle n'en connaissait qu'un seul qui avait le visage couvert d'effrayants tatouages rouges et noirs qui ne laissaient rien deviner de ses traits. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il était à bord de la Sirène du […], et il les divertissait de ses jeux de flûte. Ca lui parut dater d'une éternité. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire là, dans ce groupe de gens bizarres ? Enfin, ce n'était pas comme s'il n'était pas lui-même bizarre, mais aussi loin de son port d'attache...
Et puis, il y avait la personne qui était apparemment à la tête de ce groupe. En tous cas, elle avait une vraie stature de chef, et c'était elle qui regardait Elric avec ce qui semblait être de la colère. C'était une femme, une très belle femme, même, avec des yeux noirs au regard de braise qui semblaient vouloir carboniser le roi. Et elle était encore plus bizarre que ses compagnons. Elle portait une tenue vraiment étrange pour une voyageuse : une veste aux manchettes de dentelles, qui s'arrêtait à peine à sa taille, jetée sur un corset en cuir qui mettait sa poitrine en évidence d'une manière intéressante, à en juger par la manière dont Elric s'évertuait à ne pas la regarder. Avec, elle portait une longue jupe à plusieurs volants, qui ne devait pas être particulièrement pratique pour le combat. Mais ce n'était pas le genre de personne à qui on faisait ce genre de remarque. Pas si on ne voulait pas qu'elle vous réduise à l'état de pulpe sanguinolente.
L'étrange femme s'avança vers Elric, qui la regarda d'un air éberlué en tentant de redresser sa couronne posée légèrement de travers sur sa tête, et annonça :
- Je suis Belladone, princesse de l'Ouest. Je suis ici pour obtenir vengeance.
L'ouverture de la lourde porte provoqua un courant d'air qui amena une quantité impressionnante de flocons à l'intérieur. La nouvelle arrivante s'empressa d'entrer et de la refermer. Déjà, une mare d'eau se formait autour de ses bottes. Elle s'empressa d'ôter la cape et de la mettre à sécher près du feu dans la cheminée. Il y avait des fauteuils, devant cette cheminée, des fauteuils qui avaient l'air confortables. Elle s'empressa de se laisser tomber dedans et étendit ses pieds vers le feu avec un grognement de bonheur très peu féminin, mais c'était bien le cadet de ses soucis. Elle resta ainsi un bon moment, et peut-être s'endormit-elle un moment, elle ne savait pas trop, mais quand elle leva les yeux, Cecil était debout à côté d'elle. Il ajusta son monocle et dit avec un sourire :
- Dame Pervenche, cela faisait longtemps, n'est-ce pas ?
- Juste deux mois. Me dis pas que je t'ai manqué, la dernière fois que j'étais là, tu as passé tout ton temps le nez dans un bouquin et tu n'as même pas réagi quand j'ai failli mordre Lasérian.
- Moi non, sans vouloir vous vexer, répondit-il avec un léger rire en la voyant lui faire une grimace. Mais surtout, je crois que quelqu'un que nous connaissons bien tous les deux serait très content de vous savoir revenue. Voulez-vous que j'aille le prévenir ?
- Je peux y aller moi-même, tu sais, je commence à connaître le coin.
Elle allait se lever, mais il l'arrêta d'une main posée sur son bras.
- Notre stratège est occupé avec le roi, en ce moment. Ce ne serait peut-être pas une si bonne idée d'aller le déranger, il n'est pas de très bonne humeur...
- Et étant donné qu'il ne voit pas d'un très bon œil que je vienne débarquer dans ses réunions pour lui voler son stratège... Il vaut mieux que j'attende ici, n'est-ce pas ?
- Je crois, en effet.
Elle se renfonça dans son fauteuil, faisant de son mieux pour ne pas faire la moue comme une gamine, et regarda Cecil remonter les escaliers. Elle avait très envie de voir Malikaï et de l'embêter un peu, ou de discuter avec lui, ou les deux, mais elle n'avait pas vraiment envie d'énerver Elric alors qu'elle venait à peine de revenir au château. Il serait capable de la jeter dehors avec un coup de pieds aux fesses, mercenaire ayant combattu Dogmaël ou pas. Depuis quelques temps, le roi de l'Est se comportait étrangement avec elle, il avait une nette tendance à lui grogner après, parfois pour rien. Mais quand on lui demandait pourquoi exactement il se comportait ainsi (Pervenche, Malikaï, Cecil et Krile avaient tous remarqué qu'il y avait quelque chose de bizarre), il affirmait qu'il n'y avait strictement rien et que tout allait très bien, merci. Pervenche avait donc fait de son mieux pour avoir une conduite correcte et ne pas se faire expulser, et elle s'était même installée dans une auberge convenable. Mais elle n'allait pas renoncer à venir distraire Malikaï, il aimait bien quand elle venait le voir, ça lui faisait du bien de la voir, et elle aimait bien. Tant pis, Elric grognerait. Mais elle ne lui donnerait pas de raisons supplémentaires de grogner. Il ne lui restait donc plus qu'à attendre.
Une heure passée à rêvasser plus tard, elle entendit un bruit de pas différent de celui des serviteurs et autres soldats qui passaient dans son dos. Un double bruit, même. L'un des deux était décidé, celui de quelqu'un portant des bottes avec des parements de métal. Un pas qu'elle avait fini par associer à Elric. Pas très intéressant. L'autre, par contre, était léger, hésitant, et pas tout à fait synchronisé avec l'autre. Celui-ci, par contre, c'était le pas de Malikaï. Elle se leva, et en effet, le stratège était là, accroché au bras de son ami, emmitouflé dans une cape au col en fourrure trop grande. C'était adorable. Pervenche le rejoignit en trois enjambées, et sans faire de manières, le captura pour le gratifier d'un câlin d'ours. Elric s'attendait à voir son stratège paniquer, il détestait qu'on envahisse son espace vital surtout d'une personne qui ne s'annonçait pas. Au lieu de ça, Malikaï se contenta d'un léger rire et se laissa soulever, puis reposer. Il leva la main, effleura ses cheveux, puis les longues lignes de perles accrochées à son oreille et demanda :
- Elles sont nouvelles ?
- Hmm-hmm. Petite folie. Comment ça va ?
- Il fait froid, répondit-il simplement. Comment s'est passé son voyage ?
Elric se racla la gorge, bruyamment, pour attirer l'attention des deux qui avaient l'air de faire comme s'il n'était absolument pas là. Ils se tournèrent vers lui, et il remarqua :
- Si vous n'avez plus besoin de moi, je te le confie.
Pervenche acquiesça avec un grand sourire. Elric lui lança un regard d'avertissement, qu'elle ignora avec superbe pour reporter son attention sur Malikaï, et tourna les talons, se dirigeant vers ses appartements d'un pas qu'il espérait digne, même si être ignoré ainsi par son meilleur ami lui faisait un peu mal au cœur. Derrière lui, les deux s'installèrent dans les grands fauteuils, profitant de la bonne chaleur dispensée par les flammes. Malikaï écouta décroître les pas d'Elric, conscient que Pervenche devait être en train de le regarder et probablement d'étudier ce qu'il affichait éventuellement sur son visage, dont il n'avait peut-être pas conscience. Pour cacher sa gêne, il demanda, d'un ton qu'il espérait normal :
- Alors ? Comment s'est passé ton voyage ?
Pas de réponse, à se demander si elle l'avait entendu ou si elle ne s'était pas endormie. Il s'apprêta à répéter, quand elle répondit :
- C'était... eh bien, c'était agité.
- Agité ?
Le ton de sa réponse avait été curieusement hésitant. Ce n'était pas habituel. Pervenche n'était jamais hésitante, elle était bruyante et allait toujours droit au but. Quelque chose clochait, et il se demandait quoi. Il insista donc :
- Qu'est-ce que tu entends, par agité ?
Nouveau silence. Mauvais signe. Dans des cas pareils, il valait mieux attendre qu'elle parle. Et ça, il savait exactement le faire, il avait beaucoup d'entraînement avec une tête de mule comme Elric. Il s'installa donc plus confortablement dans son fauteuil, et laissa le silence l'entourer. Il entendait Pervenche bouger, comme si elle réfléchissait de manière particulièrement active, et c'est elle qui finit par rompre le silence :
- Je... suis retournée à Satoléa. Voir mes parents.
Voilà ce qui la perturbait. En quelques mois, le sujet de ses parents était venu sur le tapis, bien sûr, elle lui avait parlé de l'orfèvrerie, de l'assistant, de leurs plans pour son avenir. Il connaissait les relations complexes qu'il y avait entre eux.
- Et... comment l'ont-ils pris ? Demanda-t-il finalement.
- Eh bien... pas tellement bien.
- Pas tellement ? Pourquoi pas tellement ? Je veux dire...
- Je sais, coupa Pervenche, je leur ai raconté. J'ai raconté comment Dogmaël a déclaré la guerre... figure-toi qu'ils n'en avaient même pas entendu parler.
- Vraiment ?
- Vraiment. Bref, j'ai raconté comment ils ont envahi jusqu'à Mallemort, je... leur ai dit pour la disparition de l'ami d'enfance qui y vivait... Ils ne l'ont pas vraiment bien pris.
- C'est.... compréhensible, dit-il en faisant la grimace.
- Enfin... j'ai raconté comment on nous a envoyés tuer Dogmaël, et la bataille ensuite, et le combat épique.... j'ai même mimé les moments les plus importants. Ils étaient vraiment impressionnés.
- Oh ? Mais alors... ils étaient fiers de toi, non ?
- Bien sûr, au moins un peu.
- Alors... pourquoi ça a été agité ?
- Mon père a dit que c'était « impressionnant, mais pas le destin qu'il souhaitait pour sa fille unique ». D'après lui, c'est trop dangereux, et pas du tout un moyen de vivre sa vie. Et comme nous n'étions absolument pas d'accord sur ce point-là, puisque je trouve que c'est un moyen tout à fait honorable et intéressant de vivre sa vie, nous avons... eu des mots.
- Vous vous êtes disputés.
- Dis plutôt qu'on s'est presque jeté les meubles à la tête, ce serait plus juste. En plus, je ne suis pas tout à fait sûre que Clovis – son apprenti – ait renoncé à son idée de m'épouser et de reprendre la boutique du patron.
Les poings de Malikaï se crispèrent dans l'ombre de ses manches, mais son visage resta parfaitement impassible. Il espéra que Pervenche n'aurait rien remarqué. Malheureusement pour lui, elle semblait toujours se rendre compte de quelque chose en ce qui le concernait. Mais elle ne fit pas de remarque. A la place, elle continua :
- En bref, je suis une fille indigne qui ne vit pas comme mes parents voulaient que je vive, je ne trouverai jamais un gentil mari, je n'aurai jamais une multitude d'enfants comme il convient à une jeune fille bien née, et si je ne rentre pas dans le droit chemin, ils nieront totalement que je suis de leur famille.
- Et... enfin comment... tu... ?
- T'en fais pas, répondit-elle d'un ton léger un peu forcé. C'est pas toi qui va m'arrêter.
- Mais...
- T'en fais pas, j'ai dit. C'est rien. Raconte-moi plutôt quelles catastrophes ont été causées par mes copains, et disons du mal sur Elric.
Le stratège s'empressa de protester qu'Elric était très gentil, et qu'il n'y avait aucun mal à dire sur lui, Les parents de Pervenche furent oubliés pour des sujets beaucoup plus distrayants.
A l'aube qui suivit, le château d'Altea dans son ensemble fut tiré de son lit par un vacarme à réveiller les morts, qui n'était pas sans évoquer un monstre s’ébattant sur le chemin de ronde. Comme les autres, Pervenche fit un bond de carpe et manqua tomber hors de son lit. Elle se rattrapa aux couvertures, passa la main dans ses cheveux, les ébouriffant encore plus que d'habitude (ce qui n'était pas peu dire), regarda dehors pour voir qui s'amusait à faire du bruit et à quelle heure. Malheureusement, la fenêtre était presque entièrement obstruée par la neige, lui donnant deux informations : un, le soleil s'était déjà levé, lui, mais pas depuis longtemps. Deux, ce qu'elle faisait ici au lieu d'être dans son auberge. Au moment de quitter le château, elle s'était rendu compte que les rues étaient maintenant complètement envahies par la neige. Même les gardes avaient battu en retraite à des postes plus abrités. Le retour à l'auberge aurait été bien trop difficile, il lui aurait fallu au moins une heure, et elle serait probablement arrivée à l'état de bloc de glace. Ce qui aurait bien fait rire les individus qu'elle connaissait là-bas, si du moins ils n'étaient pas partis vers des cieux plus cléments. Ce qu'elle aurait dû faire elle aussi, il faisait bien meilleur à Satoléa. Mais elle avait promis de revenir voir Malikaï.
En parlant du stratège, d'ailleurs, celui-ci, dès qu'il avait su pour la neige, avait insisté pour qu'elle ne rentre pas et ne se brise pas le cou dans une glissade incontrôlée. Ou qu'elle ne finisse pas dans le fleuve. Elle eut beau lui assurer qu'elle n'était pas Meven et qu'elle n'avait aucun cavalier pour la pousser à l'eau (le fait que ça lui soit arrivé n'avait pas vraiment étonné qui que ce soit), il n'avait pas voulu la laisser partir, et était allé jusqu'à s'accrocher à sa manche pour s'assurer qu'elle ne partirait pas. Elle avait fini par céder. En même temps, c'était difficile de refuser quelque chose à Malikaï, surtout que pour quelqu'un qui ne voyait pas, il maîtrisait particulièrement bien le regard du pauvre chaton abandonné sous la pluie. Elle avait donc accepté de passer la nuit au château, en s'attendant à ce que le regard d'Elric la poignarde dans le dos le lendemain matin, mais c'était habituel. Mais là, il n'allait pas se contenter d'un regard assassin, il allait la poignarder pour de bon. Parce que non seulement Malikaï avait insisté pour qu'elle reste, mais dans une démonstration très, très inhabituelle d'audace, il l'avait convaincue qu'il fallait absolument qu'elle dorme dans sa chambre, prétextant qu'à cette heure, elle n'aurait plus personne pour lui préparer un lit, et qu'elle devrait dormir sur une peau de bête devant sa cheminée éteinte, et que le lendemain, elle serait changée en glaçon. En plus, étant donné le froid qui régnait dans le château, surtout à certains endroits, le meilleur moyen de se protéger, c'était encore de partager le lit de quelqu'un pour se tenir mutuellement chaud. Pervenche ne savait pas exactement quand l'adorable petit stratège innocent qu'elle connaissait s'était transformé en génie du Mal, mais il fallait bien dire qu'il savait se montrer convainquant. Et qu'elle n'avait pas vraiment résisté de toute ses forces. Ce qui expliquait donc la présence de longs cheveux blancs tout autour d'elle dans le lit, et du stratège à qui ils appartenaient pelotonné sous les couvertures, encore endormi. Au moins, ils ne s'étaient pas réveillés collés l'un à l'autre, voilà qui aurait été déjà plus gênant. Même si ça aurait été... intéressant....
Pervenche s'étira, puis se décida à sortir du lit. L'air dans la chambre était glacial, et elle faillit retourner se mettre à l'abri. Mais puisque la journée avait commencé, autant aller voir ce qui se passait. Privé de sa chaleur, Malikaï grogna, et se redressa lui aussi. Il entendit le bruit que faisait Pervenche en se rhabillant (autant de métal, ça n'était pas très discret) et demanda, d'un ton encore ensommeillé :
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Aucune idée, répondit la mercenaire en se battant contre sa tunique qui était en train de gagner, je vais aller voir ce qui se passe.
- Tu crois que... C'est dangereux ?
Pervenche tendit l'oreille un moment, mais elle n'entendit plus rien, ou presque, à part quelques éclats de voix qu'elle ne connaissait pas. Elle s'assit sur le lit, tapota l'épaule de Malikaï.
- J'entends ni soldats, ni Elric, ni cris de guerre. Juste quelqu'un qui hurle. Ca doit pas être si grave. Mais pour une fois, c'est ni moi, ni mes copains, qui dérangeons Elric. Je pense que je vais aller jeter un coup d’œil, savoir ce qui se passe. Tu viens ?
Avec un bruit d'assentiment, Malikaï abandonna lui aussi la chaleur réconfortante du lit pour s'habiller. Pervenche savait depuis longtemps que lui proposer son aide ne servirait qu'à le mettre mal à l'aise, et il était de toute façon capable de se débrouiller tout seul, et elle se contenta donc d'attendre qu'il ait fini. Une fois ré-emmitoufflé dans sa cape à fourrure, ils sortirent de la chambre, et rejoignirent le hall, là où ils s'étaient installés la veille.
En effet, la source du chaos était bien là. Il y avait un groupe de personnes, le genre étrange, qui rappela à Pervenche la fois où son propre groupe de mercenaires avait débarqué dans le même hall. De la concurrence ? En tous cas, ils étaient étranges, au moins aussi étranges que ses amis. Sept personnes bizarres. Pervenche s'accouda à la rambarde de la galerie pour les regarder un peu mieux, et pour pouvoir les décrire à voix basse à Malikaï.
Il y avait là une femme aux longs cheveux dorés qui retombaient en boucles serrées sur se épaulettes en métal. Elle portait une longue robe à manches courtes, d'un rose un peu fané, fendue sur le côté. C'aurait été une tenue séduisante, et même aguichante, si elle ne portait pas un plastron en cuir dessus, des bottes aux pieds, et qu'une ceinture retenant deux épées ne ceignait pas sa taille. Elle se tenait bras croisés, et elle regardait le reste du groupe avec un regard qui paraissait être ennuyé, mais que Pervenche trouvait plutôt maternel, en fait.
A côté d'elle, il y avait une autre femme, habillée tout en noir : bottes éculées, pantalon serré, tunique à grand col, cape, et même, étrangement, une jupe en tissu épais qui s'arrêtait au genou. Sur ses cheveux noirs également, ondulés et vaguement coupés courts, elle portait un béret. Pervenche la rangea mentalement dans la catégorie des voleurs, assassins et autres. Ce n'était pas seulement la ressemblance avec Meven, le même style vestimentaire, c'était surtout la manière dont ses yeux tout aussi noirs que le reste se posaient autour d'elle, qu'elle regardait les issues, les soldats. Elle paraissait en alerte, sur les nerfs. Et quand elle n'observait pas son environnement, elle jetait des regards moyennement aimables sur l'un des autres individus du groupe.
Celui-ci, il était facilement identifiable. C'était un mage. Il n'y avait qu'à voir sa cape argentée et brillante qui semblait découpée dans un morceau de miroir, la robe blanche tachée de boue qu'il portait en-dessous. Son visage, c'était plus difficile. Il avait de longs cheveux blancs tout lisses, comme ceux de Meven mais encore plus clairs, qui retombaient devant son visage comme un rideau. Drôle de personnage. Il avait l'air surexcité, et il parlait sans arrête à la personne à côté de lui, qui avait l'air prêt à l'étrangler d'un instant à l'autre.
Si Pervenche devait coller une étiquette sur celui-ci, elle n'aurait peut-être pas deviné ce qu'il faisait dans le groupe (ou ne faisait pas), mais elle l'aurait désigné comme noble. Les traits étaient distingués, et son expression hautaine. Ses cheveux noirs et lissés sur son crâne clamaient sa noblesse, tout comme le regard distant de ses yeux bleu nuit, et à quel point il avait l'air agacé par l'exubérance de l'autre individu. Il était habillé comme lui, mais dans des teintes de bleu foncé et de noir, et les étoffes étaient de bien meilleure qualité. Peut-être un autre mage.
Deux des membres du groupe se tenaient à l'écart. Le plus grand n'avait pas une arme attachée dans le dos, comme on pouvait s'y attendre, mais un drôle d'instrument de musique à cordes, en partie couvert d'une housse, dont le manche dépassait. Mais on était bien loin de la dégaine d'Eilian. Lui, il était complètement ébouriffé et mal rasé. Ses cheveux châtains étaient coupés bizarrement... si on pouvait appeler ça coupés. Plutôt massacrés, et pourtant, Pervenche était mal placée pour critiquer. Mais au moins, il avait l'air plutôt sympathique.
Elle sursauta en reconnaissant celui qui se cachait à moitié derrière lui. Bien sûr, il y avait des centaines d'individus aux masses de cheveux noirs, grands, minces et silencieux, habillés comme des gens qui passaient beaucoup de temps sur les routes. Mais elle n'en connaissait qu'un seul qui avait le visage couvert d'effrayants tatouages rouges et noirs qui ne laissaient rien deviner de ses traits. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il était à bord de la Sirène du […], et il les divertissait de ses jeux de flûte. Ca lui parut dater d'une éternité. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire là, dans ce groupe de gens bizarres ? Enfin, ce n'était pas comme s'il n'était pas lui-même bizarre, mais aussi loin de son port d'attache...
Et puis, il y avait la personne qui était apparemment à la tête de ce groupe. En tous cas, elle avait une vraie stature de chef, et c'était elle qui regardait Elric avec ce qui semblait être de la colère. C'était une femme, une très belle femme, même, avec des yeux noirs au regard de braise qui semblaient vouloir carboniser le roi. Et elle était encore plus bizarre que ses compagnons. Elle portait une tenue vraiment étrange pour une voyageuse : une veste aux manchettes de dentelles, qui s'arrêtait à peine à sa taille, jetée sur un corset en cuir qui mettait sa poitrine en évidence d'une manière intéressante, à en juger par la manière dont Elric s'évertuait à ne pas la regarder. Avec, elle portait une longue jupe à plusieurs volants, qui ne devait pas être particulièrement pratique pour le combat. Mais ce n'était pas le genre de personne à qui on faisait ce genre de remarque. Pas si on ne voulait pas qu'elle vous réduise à l'état de pulpe sanguinolente.
L'étrange femme s'avança vers Elric, qui la regarda d'un air éberlué en tentant de redresser sa couronne posée légèrement de travers sur sa tête, et annonça :
- Je suis Belladone, princesse de l'Ouest. Je suis ici pour obtenir vengeance.